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Ce visage sous la poussière
J'étais avec vous, captif de ce qui n'est pas en moi, de quel monde es-tu libre? De cadence en mesure, de folie en force.." disait mon visage à son visage...
Mon visage a repris vie entre mes mains, non comme par enchantement ou par je ne sais quel miracle que je n'aurais pu expliquer mais seule une existence qui craint les cages, les glaives et vient de tant de lieux, de guerres, de sables, de terre, de si lion, de si neige, au devant de moi. Mon existence est à la mesure de mes pas, de mes lenteurs, de mes marges comme un violent orage qui nous échappe et nous fait signe, comme un monde qui nous connaît mieux que nous- mêmes. Comme de tout temps, les terribles instants parmi taillis et épines, hautes herbes et branches survoltées à déchirer les déserts.
Jusqu'où l'on peut attendre encore?
Il faut longtemps pour comprendre l'exacte mesure de voir venir la vie ample et amère, douce et aimée. Le chemin est ouvert, à l'ombre de le rendre aux démons, à la clarté de le réduire au néant. Un visage vers son attente. Une distance vers son baiser. Un rire par sa bouche nous parle d'amour, de désespérance, de feu et de sang, nous parle comme personne auparavant, pourtant je reste là où plutôt il reste là, lâche et seul à décompter les rires de la veille et les lâchetés du lendemain.
Je ne comprenais rien à ce qui arrivait, mes mains achevaient la reliure, l'épaisseur, l'âge des hêtres, des châtaigniers, sans que l'œil y fût pour quelque chose ou plutôt si, pour beaucoup à contre cœur, loin, obscur. Une autre raison, un autre mouvement, un autre vertige. Les amandiers étaient en fleur comme un vent dans le vent. L'aube peut-être. Mes mains ont le vide au creux, le rire du damné, tout à mon image. Là, ce n'est plus de l'encre ni du papier, C'est une autre manière de voir, à étreindre, à rétablir. Vite, dire, dire encore. Et faire silence...
Ce visage sous la poussière, d'un bout de temps comme arraché à sa destinée, vite, à peine lisible, à peine goutte, déraison, si savoir, si vouloir. S'il se voyait à peine, un temps, une brève énigme, étrange taille, étrange fruit, humble, coulée de lenteur mais à peine l'a-t-on vu que ce n'est qu'un début.
Mes mains ont tenté de faire de mon visage un rescapé insolite à usage insolite, mais quoi? de quoi suis -je en train de parler? Tout cela sans âge, autre que celui des saisons, une rumeur, une aspérité et mes mains franchissent les seuils, suscitent les bourrasques, la peine d'être noué ou dénoué ne serait-ce qu'un instant. Toutes ces choses mêlées à d'autres, plus discrètes, sensuelles, danses, buées, silences, matins décolorés, laissés, neutres, façon de figurer l'absence en dépit des doutes.
En deçà, irréfutable visage, le matin ou au crépuscule, plus loin, il prend congé, façon d'entendre, façon de ne rien comprendre, trop épars, venu de la nuit, venu du diaphane, venu de l'apnée qui s'attarde plus exaltée. C'est toujours aux mêmes saisons, les mêmes dimanches que mon visage doute en robe noire, de la laine et de la brume, épiant une figure de sable. Une fois de plus mes mains n'osent, n'altèrent, ne déjouent les fatigues, les vaillances, ni l'idée de n'avoir aucune chance de gagner et quoi? fut-il un quoi? fut-il une question? ou inversement. A la renverse, le sable abdique, s'écarte et s'immobilise, plus que ciel et visage, plus que trait et présence, rien d'autre de bas en haut, d'oblique en large, du blanc au vide, que visage, que lieux d'impatience parsemés de bienheureuses et sourdes années concaves, de blessures plombées.
Visage à la nuit noire zébré d'aube et de monologues inquiétudes. Un visage vallon, montagne, terre argileuse éclatée, ombre fissurée, frémissement, consigne, aveugle, adossé en sursaut, en cris , en désordre, en palpitation, touffu d'inconfort dans un empressement réticent. Le lieu de ce visage n'a pas à être dit. Tendre moquerie. A ses mains se nouent un feu égaré et un sable vagabond en offrande. C'est ainsi que des visages ne reviendront jamais sur leurs pas, ne serait-ce même pour franchir le seuil de quelconques vérités rugueuses, dit-on. Et qu'une pensée ridée, dit plutôt la rivière que ses pierres...
Tarek Essaker, Bruxelles
Yaya
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