Interview par Robert Varlez, avec la collaboration de Jo Hubert.
| RV : Bonjour Jacqueline. A partir de quel âge as-tu commencé à t’intéresser à l’art et aux artistes? Quel a été ton premier contact avec l’art et les artistes, comment cela s’est-il passé ? Est-ce que ce premier contact s’est révélé important pour la suite ? |
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JR : Mes premiers contacts ont été tout simples. C’était à Paris, sur les quais de la Seine. Je devais avoir seize ou dix-sept ans. J’ai acheté une reproduction d’un portrait d’Aristide Briant, par Toulouse-Lautrec. Quand j’étais jeune, j’aurais voulu fréquenter l’académie mais ma mère s’y est opposée et j’ai dû renoncer. Après, j’ai été prise par la vie : j’ai eu trois petites filles, j’ai été malade, je faisais de petits découpages, des collages.
Quand j’étais petite, mes parents avaient un salon de coiffure. Il y avait beaucoup de revues dont je déchirais les pages. C’était par amour de l’image. Après la naissance de mes filles, je me suis aussi passionnée pour la lecture. Je lisais énormément.
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RV : Tu as aussi eu une librairie à Bruxelles, je crois.
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JR : Oui, mais cela est venu plus tard. Après ma maladie, je me suis séparée du père de mes trois aînées et je me suis trouvée face à de grosses difficultés matérielles. J’aimais tellement lire que je me suis tournée vers la bouquinerie. Comme je n’avais pas d’argent, je suis allée au palais de justice de Bruxelles, qui était en réfection à l’époque et, sur le chantier, je me suis procuré poutres et planches pour faire des rayonnages.Puis je suis allée chez un monsieur qui s’appelait Jacques Mercier, qui tenait une bouquinerie rue des Eperonniers (à Bruxelles). Il m’a donné énormément |
de livres, dont des ouvrages de valeur. Après avoir gagné un peu d’argent, je suis retournée chez lui pour payer les livres qu’il m’avait donnés et il a été très surpris ! Ensuite, je me suis procuré des « livres neufs à prix réduits ». J’ai placé tous ces livres sur les étagères que j’avais fabriquées et j’ai ouvert la bouquinerie. |
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RV : Tu as fait cela principalement pour survivre ?
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JR : Mais, dans cette bouquinerie, est entré un jour un homme qui connaissait des auteurs de bandes dessinées. Il récupérait les épreuves dont les dessinateurs n’étaient pas satisfaits et qu’ils avaient jetées au panier. Il m’en a donné, que j’ai vendues.
Après, j’ai déménagé dans un autre quartier de Bruxelles, dans les Marolles, où ma fille Sofie Vangor est née et là, j’ai ouvert une autre bouquinerie. Il faut dire qu’entre-temps, j’avais rencontré Christophe Vangor. Il fréquentait un restaurant proche de mon
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ancienne bouquinerie et, à l’époque, il commençait tout juste à dessiner des traits sur le papier. Il s’intéressait alors davantage à la musique. J’avais trouvé très beaux ces quelques traits tracés sur le papier et je les avais épinglés au mur de la bouquinerie. Ils ont été admirés par des clients et Christophe s’est mis à dessiner plus intensivement. On peut dire qu’il vendait ses dessins au kilo ! ! Au moment où j’ai ouvert la bouquinerie dans les Marolles, Christophe a eu des ennuis avec la Justice, il est allé en prison. J’ai réussi à obtenir pour lui la liberté conditionnelle et il a exposé, à cette époque, dans une petite galerie bruxelloise disparue depuis, une série de portraits de Sitting Bull, à la manière d’Andy Warhol. Il n’a rien vendu, évidemment.
A ce moment, le magistrat qui s’occupait du dossier de Christophe nous a conseillé de quitter Bruxelles. Nous sommes alors partis à Namur. Nous y avons ouvert « Le Serpentaire », un resto du cœur avec galerie. J’ai eu l’impression que des miracles avaient lieu. Nous recevions tous les clochards de Namur. A ce moment-là, je suis devenue enceinte de ma dernière fille, Olympe. A l’hôpital où j’étais suivie, ils me donnaient la soupe pour mon resto du cœur.
Dans la galerie, outre de nombreux peintres namurois, je continuais à exposer Christophe Vangor et aussi mes filles, qui s’étaient lancées dans la photographie. Moi, je faisais des tas de collages. Un jour, dans la région, nous avons découvert un petit château abandonné. Nous avons pris contact avec le propriétaire qui a accepté que Christophe aille peindre là-bas. Il a exposé à Wépion quarante bas-reliefs qu’il avait faits en un mois. Comme nous manquions de place pour les entreposer, la plupart d’entre eux ont disparu.
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RV : C’était la première fois que tu organisais une exposition pour venir en aide à un artiste, en l’occurrence ton ami, Christophe. |
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