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Lèse-Art Re-Mue

RE-MUE revue littéraire des lézards en mutation permanente.

Chaque mois, RE-MUE donne la parole à un nouvel invité

  N °6

Editorial: Jo hubert

 

Je viens de faire une découverte fort intéressante :  les lézards peuvent donner naissance à vingt petits à la fois. De plus, certains sont ovipares, d’autres – moins nombreux, il est vrai - ovovivipares.
Notre invité de novembre 2009, Patrick Fraselle, nous disait avoir l’habitude de commencer concomitamment l’écriture de plusieurs travaux, en général de styles différents. Il se demandait si de nombreux écrivains sont coutumiers de cette pratique.
Vingt petits, poèmes ou textes en prose, qui voient le jour en même temps, cela me semble beaucoup pour un seul homme ou une seule femme… Si l’écrivain est du genre ovipare, on peut encore l’admettre : les écrits naissent dans une forme embryonnaire et il leur faut du temps pour parvenir à maturité, disons un certain temps, qui n’est pas le même pour tous. Ils éclosent les uns après les autres, laissant en fin de course leur auteur vide, fatigué mais serein (mais non serin).
Les ovovivipares gardent tout à l’intérieur jusqu’à ce qu’ils/elles n’en puissent plus de se taire. Alors, ça grouille de partout, une véritable explosion de mots qui s’égaillent dans la nature, à l’aventure, avec ou sans ratures.  Plus moyen de les contrôler, ça gicle de tous les côtés, ça éclabousse, ça fait des vagues dans le sang d’encre. Le malheureux auteur est exsangue et aussi lessivé qu’une mère de quintuplés.
Pour tous, ovipares et ovovivipares,  s’ensuit une période de latence, qui devrait leur permettre de récupérer des forces avant le prochain effort littéraire. Que dalle ! Au lieu d’accueillir avec gratitude ce répit, on s’angoisse devant la page blanche, on se dit qu’on est foutu, que plus rien de bon jamais ( jamais !), ne sortira de notre cerveau ratiboisé. On tourne en rond, enragé. Quand on veut se faire violence, on ne produit que des inepties, ce qui nous conforte dans l’idée que nous sommes définitivement stérilisés, vasectomisés, castrés. Improductifs et impuissants.
C’est qu’il est temps alors de changer de peau, comme on se débarrasse d’un vêtement qui a trop servi. Histoire de se refaire une virginité, de replonger son regard dans l’eau limpide de l’innocence pour pouvoir à nouveau découvrir le monde et s’en émerveiller ou s’en horrifier, sans faire appel à l’un ou l’autre référent. Ne se fier qu’à ses propres émotions comme prismes de perception, hisser ses propres couleurs au mât de l’essentiel, inventer des cris, des vagissements, des hurlements, des murmures, des musiques, des rythmes, des assonances, des mots… Les assembler, ces mots, avec toute l’ingénuité et l’ingéniosité de celui qui s’en sert pour la première fois. En faire toute une provision, les brasser, les prendre à bras-le-corps, les entortiller et se laisser envahir, immerger, déborder par eux.
Sortir. Dialoguer, faire des échanges, prendre langue : mot pour mot, mot à mot, bouche à bouche, bouche à oreille, tous les moyens sont bons, la faim d’écrire les justifie. Tissages et métissages. Que l’encre nage dans l’engrenage !
La fécondation accomplie, il ne restera plus qu’à attendre et à préparer l’éclosion de la prochaine couvée.
NB :  Que les lézards unipares n’en fassent pas un complexe d’infériorité. Tout écrit est unique et sa portée est incommensurable…

 

 

 

David Azulay