Jo Hubert

 

 

 

DES SIECLES SANS EAU


C’était un puits dans lequel il n’y avait plus d’eau. Il était à sec depuis des siècles. Les habitants du village s’étaient habitués à ce manque d’eau. Ils marchaient pendant des heures, traînant leurs seaux jusqu’au ruisseau pour en ramener quelques litres d’eau, une eau frémissante du frétillement d’alevins turbulents. Le puits du village était dissimulé par un plancher, afin d’éviter les accidents, les chutes d’animaux et d’enfants. Des récipients devant les huttes recevaient l’eau de pluie, quand il pleuvait. Mais il ne pleuvait guère dans ce pays.


Le manque d’eau alimentait les palabres mais n’étanchait pas la sécheresse de la langue. Le surcier du village, armé d’une branche bifide, essayait bien de déterminer le lieu le plus imbibé, mais il lui manquait un élément essentiel, une bêtise à vrai dire, une espèce de cercle fermé, qui eut amené un « plus » au métier ingrat qu’il exerçait. Pas facile d’être surcier dans un pays sans eau.


Il envisageait d’en changer, de métier, d’en exercer un sans cercle fermé : chirurgien, épicier, vétérinaire, les alternatives ne manquaient pas. Bien sûr, certains métiers demeuraient bannis, parce que nul n’était en mesure d’en parler : les plmbiers, par exemple, étaient de cette espèce...


Les habitants du village, eux, aimaient bien leur surcier. Il faisait vivre leurs espérances. Peut-être, une nuit, la baguette allait-elle se mettre à vibrer auprès du puits tari et l’eau allait-elle jaillir en un geyser de liquide pur et frais ?


Le pauvre surcier, lui, se sentait inutile et, afin de passer le temps, il aidait les gens à traîner leurs seaux, de l’aube au crépuscule.


Un midi, sur la piste, un serpent le piqua au pied. Il trébucha, grièvement atteint. Sa baguette se brisa en deux et une des parties se ficha dans le sable. Et c’est là que l’eau jaillit en cerceau, éclata, se répandit.


Le sourcier éclata de rire : « Ho ! Ho ! Ho ! » et il sourit, de son dernier sourire, le plus beau. Au lieu de mûrir, il allait mourir, alors qu’il avait trouvé l’eau. Il trouvait cela vraiment rigolo.

 

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