Tiret et pas virgule. C’est tout de même un impératif : celui de faire la connaissance de ces artistes qui n’ont rien d’asexué et qui exposent à partir du 8 avril dans la galerie de notre ami Rüdiger Axel Westphal (l’invité de ReMue n° 3), Kölner Strasse 26 à Euskirchen (Allemagne).
Ce week-end, alors que nous étions à Euskirchen, en compagnie de Marie-Jeanne et Adriana, pour décrocher feue l’expo des ACP, Rüdiger nous a fait la surprise de nous emmener, par les chemins tortueux qui traversent les paysages enchanteurs de l’Eifel, dans le petit village de Gillenbeuren.
Là, nous nous sommes trouvés plongés dans un espace-temps différent, comme une version alternative de nos années de jeunesse. Nous sommes entrés par l’atelier, dont la porte n’était pas fermée à clef et là, dans une très grande pièce, qui avait dû être une grange, nous nous sommes trouvés en présence de grands objets ailés, aériens ou floraux, en tissu, papier ou végétaux montés sur des armatures métalliques. Ce sont les œuvres de Dorothea Kirsch, une de la « Bande des Trois ». Après avoir traversé l’atelier, nous nous sommes trouvés dans une prairie-jardin où, dans un abri, se dévoilent d’autres objets élégants et insolites, créés à partir de collants en nylon.
De la maison nous parvenait une musique qui indiquait la présence des habitants des lieux. Nous avons entendu Rüdiger appeler « Oreste ! Oreste ! » et n’obtenant pas de réponse, il nous a proposé de le suivre à l’intérieur de la maison. Ce n’est pas tous les jours qu’il est permis de s’octroyer une telle liberté ! J’avoue avoir eu un moment d’hésitation avant d’emboîter le pas à Rüdiger.
Un intérieur labyrinthique, des petites pièces emboîtées les unes aux autres comme un puzzle en trois dimensions. Le regard ne sait où se poser tant les murs, les meubles, regorgent d’œuvres de toute sorte. Le tout dans des couleurs chaleureuses, je me sens bien, je me sens chez moi ou, plutôt, j’ai l’impression d’être de retour dans un lieu que j’ai quitté il y a très longtemps. Je pense à la chanson de Maxime Le Forestier : « On se retrouve ensemble après des années de route » et ces paroles ne me quittent pas lorsque je pénètre dans la pièce où nous accueillent Oreste et Dorothea. Oreste a 61 ans, de longs cheveux blancs et, faisant le tour de sa tête une sorte de lacet. Dorothea parle un peu français. Oreste, qui a séjourné et exposé à New York parle anglais. Nous nous débrouillons. Oreste nous montre ses peintures, des toiles de dimensions diverses, une peinture expressionniste et fortement engagée. Un art à dimensions humaines, revendiquant plus de justice sociale, moins de guerres et de compétition, moins de consommation et de profit à tout prix. Il nous montre des êtres blessés par la vie, couturés, suturés, et – oh combien ! – vivants (quelques morts aussi, pour faire bonne mesure).
Dorothea nous offre du thé, des biscuits, du vin. Nous nous installons autour de la grande table dans cette pièce spacieuse et chaleureuse. Tandis que nos amies ACP discutent avec Dorothea, Oreste nous parle de son parcours.
Mais déjà Rüdiger nous presse de le suivre chez le troisième larron de la Bande-Gillenbeuren, Detlef Backhaus, qui a fêté hier son anniversaire en compagnie de ses amis. Dehors, devant la maison, quelques sculptures en bois annoncent la couleur. Detlef, qui est de la même génération qu’Oreste, nous emmène dans son atelier, une ancienne grange à la charpente impressionnante. Là aussi, le regard est sollicité de toutes parts. Des sculptures en bois portant parfois des traces d’écritures, ou incorporant des objets, tels des sphères minérales, des billes, des flèches… Il y a là des totems, des statues et une foison de plus petits objets qui intriguent et interpellent.
Après la visite guidée avec la plus grande disponibilité et une tout aussi grande gentillesse par Detlef, nous allons dire au revoir à Dorothea et Oreste.
Ces artistes recyclent. Ils ne font pas du neuf avec du vieux à la manière des bricoleurs de génie. Non. Ils font du différent. A travers leur travail, ils portent un témoignage lucide sur le monde dans lequel ils vivent, bon gré mal gré, même s’ils ont choisi de vivre dans un endroit où ils peuvent oublier de temps à autre ses côtés les plus déplaisants.
Si vous passez par Euskirchen, entre le 8 avril et le 30 juin prochains, ne manquez pas de vous rendre à la galerie FzKKE de Rüdiger Axel Westphal. Ce sera aussi l’occasion de découvrir la « face cachée » de l’Allemagne, celle que nous ne connaissons pas assez !