Voix d’eau
Je songe à la force des femmes, de la femme, de la femme que je suis ou crois être , peu importe, qui si souvent face au pouvoir des hommes, contre lui, ou plus sagement, à côté, dans la patience et la passion a été celle de l’eau qui creuse le rocher et qui justement contourne ce qu’elle sait ne pouvoir vaincre. Veut-elle vaincre, d’ailleurs, refusant de savoir qu’elle pourrait elle aussi, détruire, et ne s’autorisant le torrentiel que dans cette ardeur qu’est le don de soi? Le taisant mi par pudeur mi par sagesse (faiblesse peut-on penser), partagée souvent entre silence et cri, puisqu’entre ces deux éminences, sa parole jamais autorisée ne serait que bavardage, pépiement, balbutiante goutte hésitant au bord d’un abîme. Qui le creuse ?
Femme qui perd les eaux pour donner vie …qui crée avec l’hésitation de la coulée qui cherche sa voie, et l’opiniâtreté de la pluie. Des pluies.
S’il faut lui donner nom j’évoquerai - laissant l’invocation pour les Dieux- un Narcisse qui, se mirant, découvrirait la face de Méduse et n’userait de ce reflet, devenu miroir pétrifiant, le plus souvent, que contre soi-même.
J’évoquerai Écho réduite à sa voix. Évaporée en quelque sorte. Une voix d’eau ?
Sphinx sans doute qu’un Oedipe ne saurait vaincre, lui que deux filles pourtant, conduisent à son apothéose quelque part à Colone, dans la lumière aveuglante de la légende. Et qui garderait aux lèvres le sourire mystérieux d’une Joconde, dont on a tout dit, y compris qu’elle était un homme, ce qui prête à sourire.
Nymphe, elle est désirée, poursuivie, mais si son regard trahit le désir, elle devient vierge folle ou nymphomane. Inspirée, elle est alors, hystérique. Aux hommes le génie, aux femmes la folie. Grandeur chez l’un, pathologie chez l’autre. Tout au plus lui permettra-t-on (au nom du père ou du fils ce qui revient au même) la mystique extase, purifiée par sa sacralisation. .
Elle le sait, donc s’en moque. La dérision est assez bonne voie vers une pensée qui s’évade comme l’eau coulerait d’un vase qu’on sait fêlé, poreux, mais si vain de sa force, carapace ou caparaçon, qu’il lui faudrait nier celle de l’autre pour sentir exister la sienne...
Même le fer a besoin de l’eau, au sein de la forge, elle est celle qui trempe aussi l’acier des volontés...
Le nom du père, sans doute, mais son nom, sans doute, le porter en soi, comme un enfant, ce nom qu’on ne transmet pas. Le nom du père, pour moi, évoque la puissance, celui de mon époux me ramène à l’eau. Cela s’explique ailleurs. Le nom que l’on porte et celui qu’on choisit. Ou refuse.
Le nom, le prénom, les surnoms comme autant de visages de soi, et j’évoquerai alors un Janus qui aurait cent faces, comme Briarée avait, je crois, cent bras. Et Argus cent yeux. Ainsi le vivant, l’humain, le féminin, le masculin, ne sauraient se réduire par quelque langage que ce soit. La science, en vase cloisonnant, ne traite que d’une face, isole la goutte d’eau pour mieux l’examiner. Reste à côté le fleuve. La mer même. La poésie peut-être. Nous le croyons, nous. Ce serait remettre à flot ce que nous en avons soustrait. Abstrait.
Il y aurait tout cela, et tout ce que j’omets, et ce ne serait pas réponse, mais peut-être énigme encore, la source garderait ainsi son secret, même de polichinelle. Ce nom si féminin ….donné à une caricature d’homme.
Mais la métaphore filée, avec l’eau et le temps, devient image. Elle n’explique pas, elle superpose deux plans qui se cherchent avant de se heurter, du choc jaillit l’eau d’une vision, vivante dans la mouvance de ses diverses interprétations.
Héraclite, pour se dédouaner de ses obscurités, disait: « l’oracle ne dévoile, ni ne dissimule, mais laisse entendre ». De quelque source qu’elle vienne, quelle que soit la voix ou les voix qui la portent, cela n’est-il pas aussi vrai de la poésie ?
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Hors-série n°9 |
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