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Lèse-Art Re-Mue

RE-MUE revue littéraire des lézards en mutation permanente.

Chaque mois, RE-MUE donne la parole à un nouvel invité

  N °8

 

Notre invité de juin : Tarek Essaker.

 

 

 

 

Tarek Essaker est né le 16 février 1958 à Gafsa, région de nomades du Sud-Ouest de la Tunisie.

Il vit en Belgique, où il est arrivé en 1978 pour faire des études supérieures, forcé aussi de quitter la Tunisie en tant qu’activiste marxiste.

La vie comme elle va • extrait • 2:34


 

 

Du cinéma amateur au théâtre à la nouvelle et à la poésie, il choisit d’ancrer son œuvre dans les traditions du nomadisme et de l’exil. Ses sources d’inspiration se situent aussi bien dans sa terre natale, qu’il décrit lui-même comme « une région de mineurs, de pauvres et de laissés-pour-compte, d’où surgissent, de tout temps, les rébellions et les révoltes qui, dans l’imaginaire collectif, demeure la région des bannis, des exilés, des révoltés », que dans les pays européens témoins et acteurs de  son errance,  l’errance qui est parfois un autre mot pour désigner l’absence d’attaches, l’insoumission,  la liberté.

 

 

Entretien de poésie avec Jacques Izoard
La Grille, Liège, 1997.

 

 

 

 

 

Un texte de Tarek Essaker :

 

 

Entre vocabulaire et enfance.

 

...Mains tisserandes des Hommes qui comme un fil tendu, par ci par là, improvisent et bordent l'abîme pour saisir un de ses bouts de vies, un de ses excès et tant d'autres. Devenues géométrie de l'exil et du vertige, ses mains scellent les absences à l'archipel des orages.
...Poussière trop bavarde, des négoces dans le vent plein. A la margelle du silence, les souffles calcifiés renvoient la mort, le long de rails froids avec une lenteur sans terme.

Elle marche parmi les interstices des terres, dans les jardins précaires et les carrosses encombrantes des chaleurs étales. La colère dans la besace et l'oubli dans les lanternes. C'est encore elle, la vieille, l'ancienne.

Tout est au bûcher. Terre interdite de sanglots, de larmes, de mots, de mémoire, de syntaxe, de langue. L'absurde joue à la corde des vents insolents par trop de sens dessus dessous. Je donne, dit-elle, où ni l'averse ni la foudre ne font taire les pendules des canons.

Faire malice pour ne pas mourir, faire amour pour ne pas périr..en vouloir de rêves à l'insu de l'ennemi..
c'est déjà là une insurrection ..entre deux respirations...entre deux poèmes.. entre quelques vocabulaires et enfances.

Deuil d'être toute en parole comme recoudre une nuit à une autre, comme s'exiler d'une aube à l'autre, comme célébrer des fleurs qui, à elles seules, dansent la clarté. Ombre et lumière, elle craint la nuit salée, le vide venu des falaises, dan le vertige, dans l'écart de ses impatiences.

Les voix brisées des bègues aux éclats de terreur, luisantes aux branches des arbres,
vocabulaire reptilien qui prends corps, peut-être était-ce un cri d'enfant? murmurait-elle.

Je ne sais que, faire contrebande de tourments, de meurtrissures, des chorégraphies écornées, rien d'accommodant, chiffonnées, arrachées, aveugles, d'un fatras assassiné.
Déchirure et ce serait plus haut chaque jour, des yeux plus ardents, visages encore gris des traversées de la nuit. Plus grande que la distance, que l'absence.

Est-il bien vrai que la beauté n'est plus pour nous?
Qu'avons nous fais comme pour aider, de mémoire, à traverser notre nuit et border la leur?
Qu'avons nos fais des adieux et des peines les plus tenaces que les orties verbales, tenant pour une berceuse?
Comme je me souviens mal, si mal, dit-elle.

L'empreinte de la terre gagne les ravines de mon regard par fragment, par coudée, par cendre, par ombre, par bouche, par éclat, par miroir, par aube, par alphabet, par barque, herbe frileuse, si froide,
si fruste telle une prière d'un si maigre savoir.

Tout autre renoncerait-il?
A n'importe quel moment, épuisé par les départs, les partances, les séparations, les meurtres, les disparitions, les adieux, après tant de fuites, d'attente.
A chaque fois la mort retrousse sa jupe ou le temps son tablier pour aller plus vite en besogne.

Vieille, aussi ancienne que l'épaisse couche d'argile desséchée, aussi vieille que sa première couche amoureuse dont elle n'a même plus souvenir.

La vue en déclin. On la nomme l'ancienne.

Elle est grave gaie triste bruyante rieuse joyeuse drue vivante lumière taciturne la bleu agréable nostalgique taquine colérique comme un feu, non, plutôt comme un brasier épais et mystérieux.
Ce bleu , n'est pas bleu, disait-elle, cet ocre non plus. Elle ne sait à quoi les mots lui font penser.

Tout au fond d'elle-même trouble, tremble déforme, visible, absente.
Elle tamise, elle filtre, elle ruse, cache, elle pleure, elle lance des pierres, rouvre les yeux et devine que le bleu n'est toujours pas bleu, plus léger, plus imprévisible, autant indéchiffrable que son regard.

Est-ce incongru? Est-ce large? Est-ce son sommeil? Est-ce son drame ou sa tragédie? Ou, est-ce un cimetière d'Hommes effondrés?

Elle se penche au plus bas qu'elle, têtue, elle joue tour à tour avec l'ombre, le vent, les rumeurs, les indéchiffrables enfantines amours, les impatients miroitements des soubresauts, tout ce qui suit la fin de quelqu'un ou de quelque chose. Un enjouement, une glissade, un rire dans les migrations incessantes, des respirations tristes, des regards profonds pour que les traces restent.
Si je lève les yeux vers le ciel, disait-elle, il est certain que le bleu ne sera bleu.
Cela ne fait rien . Plus rien.

La perfectibilité d'en finir. L'allégresse de toucher âme et corps au chaos.
Elle sonde l'aridité des pierres, dégrafe les blessures, une à une, persuadée que quelque chose est rompue. Quelque chose incessante à non plus finir, murmure de sous la terre. De sous ses pas.
Vivace, d'une trappe à l'autre. Tant vrai que sans transition, elle brode un vide à l'autre espérant le retour.

Elle ré émerge dans une partie perdue d'avance . Cela ne fait rien. De petite chose en petite chose, toute en torsade, elle arrivera à finir de mémoire, ce que ces ancêtres brodeuses lui ont appris....

Détrousser les langues, disait-elle, les reliefs des vivants et les morts, les mots, les broderies et les arbres pour être sauver, pour circuler frondeur, à contre-courant, à contrecoup pour cueillir de si loin qui nous sommes. De si près, nos noms, invraisemblables parures où le monde tentait l'ordre dans l'oubli....

 

 

• Les publications de Tarek Essaker


• Des grilles parfumées de passé, poésie, c.a., Liège, 1989,(épuisé).
• Le suicide du poisson, poésie, Tétras Lyre, Soumagne, 1991, (épuisé).
• Et le verbe dans tes mains, poésie, Tétras Lyre, Soumagne, 1992.
• La prairie des inquiétudes, poésie, L’Harmattan, Paris, 1995.
• Ô Gamra, drame-poème, Éditions Caractères, Paris, 1997.
• Les Cheminants, poème,  H-B Éditions, Coll. Antiopées, Fortcalquier, mars 2006, 176 p., ISBN 2-914581-64-5.
• À paraître  : Le cheval et moi, La Glaneuse et autres textes, 2010.

 

 

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