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Lèse-Art Re-Mue

RE-MUE revue littéraire des lézards en mutation permanente.

Chaque mois, RE-MUE donne la parole à un nouvel invité

  N °8

Deux articles de Jean-Paul Gavard-Perret

 

« LE LIVRE DES QUESTIONS »


« WILL COTTON : EFFETS MERES »

 

 

LE LIVRE DES QUESTIONS

Pierre Guyotat, "Arrière-fonds", Gallimard, 444 pages, 21 Euros.

 

Le dernier livre de Pierre Guyotat sort dans une relative indifférence. Faut-il s'en étonner ? Certainement pas dans cette période de refroidissement moral et où la question de l'identité n'est posé que sur un registre politiquement correct de l'ethnique et du religieux. Or Guyotat va beaucoup plus profond comme le titre de son livre l'indique. Ce livre l'auteur l'a dicté "à mains nues" comme il le dit. Et ce afin d'être encore plus dans les scènes qu'il évoque et les questions qu'elles et qu'il (se) posent. Sans interlocuteur, sans envoyeur de questions l'auteur est engagé dans un espace étroit de remémoration. Il fait ressurgir Dieu sous divers aspects mais aussi le père, la mère, les filles, les garçons donc plus généralement la question du sexe qui ne se pose jamais ici sous effet d'abstraction mais d'attraction des forces contraires de vie et de mort, de bien et de mal.

Ce texte pourrait sembler à priori moins "écrit" ( et pour cause ) que les autres livres de celui qui a toute la langue française et la grammaire dans sa tête. Mais nous n’y trompons pas. La langue française demeure comme il le dit "dans l'oreille". Guyotat se veut au plus près de la parole. En une approche minutieuse et qui n'a rien de sauvage ou d'ébouriffé. Parler le livre c'est l'inscrire et l'instruire dans une autre mélodie de la langue. C'est un moyen de faire parler la langur autrement dans le rapport qu'elle entretient avec le corps et la sexualité au moment où le livre cerne une période capitale de formation. L'auteur va en sortir différent, plus conscient, plus violent. Le tout dans une obscénité qu'on pourra nommer larvée et qu'elle n'a rien de bravache.

L'adolescent cherche à comprendre. Il sait par les contes que la promise est vierge au soir des noces, qu'elle monte telle dans le lit et que la nuit son époux prend sa fleur. L'auteur en herbe voudrait comprendre quelle est cette fleur. Et pourquoi cette fleur quand on la prend à la vierge pleure de sang. Guyotat à l'époque lit encore les contes mais vit des aventures sexuelles qu'il n'avait pas prévues. Il sait soudain que si les épines de la rose font saigner, la rose saigne aussi quand on la coupe et que de ce sang surgit le héros. Il se demande en parallèle de quoi était faite la couronne du Christ Roi déchu. Il s'interroge au sujet de son flanc percé d'une lance et qui secrète du sang et de l'eau.

Chaque fois il faut qu'il réfléchisse. Et son texte devient une suite de relances sous forme de questions entre l'excrément et le sacré. Il faut qu'il comprenne ce qu'il voit, ce qui se passe, pourquoi les couples bougent, ne bougent plus puis reprennent avec plus de force leurs étreintes avec des grognements sourds. Il doit savoir comment se reforme sous l'humain la bête à la fin du jour. Il est témoin (et plus) d'agressions. Et même si les grognements se changent en petits rires, les secousses des reins en baisers sur la bouche, sur les tempes et dans le cou, cela ne retranche rien au délit.

Cette exaspération de la chair  met bas le premier monstre en lui. Comment ne pas dès lors en imaginer d'autres. Et d'autres encore. Comment savoir à qui on a déjà coupé la fleur et qui a déjà connu le sperme par jet ou succion ?Derrière l'adolescent l'ombre avance. Elle ne le quittera plus. Et la langue seule tente de lui donner du sens. Comme elle doit perforer chez lui l'hébétude  la honte et souffrance. Il comprend alors qu'il n'y a rien d'aisé dans cet acte qui devrait être de plaisir et qu'il faut cacher parce que les organes du devoir de la procréation doivent l'être.

Mais il apprend  que le corps souffrant ou jouissant, le "vrai corps est cerné d'or et de rouge". Le sien soudain est façonné par celui de celles et ceux qui le touchent, qui l'initient de gré ou de force. Il imagine "le boyau où s'engager à son tour avec précaution, détritus et excréments". Toutefois il s'interroge : "ne serait-ce pas se rendre par tendresse coupable ?"  Guyotat "écrit" ici le temps où surgit le danger qui ne le quittera plus. S'il laisse sa pensée libre sans en retenir les rênes ce sera une glu qui  fait battre son cœur et trouve toujours l'ouverture qui  laisse sortir le membre avec son jus et des mots qui scellent l'alliance. Ainsi ne faudra-t-il toujours qu'aller et venir. Il suffira que le sexe soit dur pour que le mouvement le plus divinisé et chanté ne soit qu'une mécanique artisanale.

Voilà l'adolescent se précipitant au mal et y mêlant esprit, cœur, corps, matière pour une fois dedans subir une double  peur : ne plus en sortir mais ne jamais être dehors. Du mal il tire la connaissance. Il sait désormais qu'il est né avec pour ne plus le quitter : "Ne suis-je déjà pas trop dedans pour agir du dehors comme font les autres ?". Trop de père, de mère, de sœur. Trop de Dieu. Son membre n'est-il pas déjà celui de l'homme et celui de la femme ? Dans cette confusion Guyotat comprend soudain la différence entre l'idée et de réel.  Il se met à décharger pour se livrer à la vie des autres. Il se sent chacun d'eux. Mais en déchargeant en la femme il craint de lui voler sa beauté et qu'elle perde sa confiance  en lui.  On le  rassure : "La route du plaisir est jalonnée de barrières". Avec "Arrière fonds" il explique leurs premiers franchissements  pour dresser la vie contre la mort. C'est un peu d'eau vive  pour ne pas se détruire. Un peu d'eau de vie contre les larmes.


 

Jean-Paul Gavard-Perret.

 

 

WILL COTTON : EFFETS MERES

Will Cotton, 29 avril - 19 juin 2010, Galerie Daniel Templon, Paris.

 

 

Le peintre américain Will Cotton ne cesse d’interroger la peinture et ce qu’il nomme son « pouvoir d’insatisfaction ».  Le désir reste en conséquence au centre de sa démarche mais précise encore le peintre « il est important que ce désir ne soit pas assouvi ». Tout se joue donc en son œuvre entre le désir et le manque. En particulier celui de ce que Balzac nomma « le chef d’œuvre inconnu » et que Cotton pourrait appeler la peinture absolue.

Lucide, le New-yorkais sait qu’il ne l’atteindra jamais. Cela ne l’empêche pas -  en jouant par exemple avec les références à la peinture française du XVIIIème siècle et en particulier  Fragonard et Boucher - de concevoir ses toiles comme des utopies et des songes. Il revisite à sa manière une forme de baroque mais avec une touche de classicisme. Surgit en des paysages éthérés le règne de créatures féeriques parées de diadèmes de biscuit. Elles sont un mixte d’ange, de déesse, de pin-up et d’égéries. Leurs corps dévoilés, ravageurs restent pourtant froids et inaccessibles. Ils sont situés dans un empyrée où terre et ciel copulent étrangement, avant de se dissoudre en étreinte impalpable  et improbable que la peinture élabore.

Pourtant au-delà d’un principe de plaisir par lequel le peintre viendrait attiser dans le spectateur son instinct voyeur, celui-là propose une réflexion à la fois sur la peinture elle-même et sur l’hédonisme qu’elle peut provoquer. Et ce au moment où  elle retourne à sa plasticité et à des règles de composition. L’artiste feint de les respecter pour mieux nous emmailloter. Se produisent - sous formes de paysages de glaces à la  Chantilly et de barbes à papa donc sous l’aspect de friandises – des séries d’effets-mères. La peinture berce non sans perversion de la perversion.

Jouant avec les codes, Cotton propose la transgression de la transgression. Ses personnages deviennent des poissons fuyants. Elles brillent sous les vagues de nuages afin de délier les membres et les âmes. Le monde s’enveloppe en une ouate. Dans des coloris diaphanes il n’est plus question de chaude passion. Le fard est là pour poser la question du regard au sein d’une lumière filtrée et au milieu d’un univers aussi utopique que disparu.

Certes les songes sont toujours vrais. Et Cotton (qui porte bien son nom)  nous plonge dans leurs eaux profondes. Mais pour le voyeur pas question y prendre racine. Il ne peut que regarder « de loin » avec  toute la lumière et l’obscurité que l’artiste met à sa disposition. La femme s’élance nue hélas les nuages s’enflent… Sous l’effet de caresse nulle caresse est possible. Le tout reste une histoire de lumière, une dérive de la durée et de la nudité.

Le délice demeure impalpable et nul ne peut dire si de telles femmes ont le parfum de l’amour. C’est peu probable. Elles ne sont pas créées pour faire lever des fantasmes mais pour les chantourner. Le voyeur ne peut que les laisser filer comme file un bas. Il ne sera jamais avec elles le truand de l’amour et même pas celui du désir. Il faut donc imaginer de telles apparitions  comme un morceau de ciel. Elles n’appartiennent à personne même si elles peuvent faire  tourner en bourrique.  C’est là leur pouvoir et leur risque. Elles en sont responsables mais ne semblent pas au courant

Personne ne peut leur donner des ordres. Et leur oreiller ne sentira jamais notre transpiration. Notre tremblote commencera par le menton mais n’ira pas plus loin. Reste juste cette émotion froide, glacée, passagère.  Car elles ne prétendent à rien même si elles feignent d’adresser au voyeur un « Viens par là ». Que faisons-nous alors ? On ne bouge pas. Car on se dit qu’elles ne peuvent nous appeler comme ça.

Leur paysage nous saisit dans ses plis où se verse sans fin l’étendue. Mais l’immensité rejoint l’abandon. Le ciel y aborde la béance du temps. Il a la couleur de la neutralité, de l’indifférence. Une telle peinture remet donc le voyeur à sa place. Ces femmes émergent juste afin que nos yeux sortent de leur orbite et arpentent leurs corps lointains.

 

 

 

Jean-Paul Gavard-Perret.

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