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On n’a pas le choix, à moins d’être un nihiliste qui en cherche des arguments pour tout justifier. Par contre, si on est engagé, il faut se bouger, il faut oser donner son avis. Si quelqu’un m’envoie un poème, je ne lui dirai pas que c’est un bon poème si je pense le contraire. Je dis bien « si je pense », parce que j’en n’en suis pas sûr, que le poème est mauvais. Parfois, on me reproche d’être sectaire. On me dit : « Qu’est ce qui te permet de dire que ce texte n’est pas bon ? ». C’est simplement ce que je pense. Nous vivons à une époque où on ne peut plus dire ce que l’on pense. Sur Facebook, par exemple, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil…
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A propos de ton nouveau recueil de poèmes (« La défenestration des Anges », à paraître), j’aurais voulu savoir si tu le vois comme une continuité de ton oeuvre, comme une étape ou comme un tournant ?
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C’est un tournant, en tout cas, je voudrais qu’il le soit. Ce livre-là, ce n’est pas le premier de quelque chose que j’entame, c’est le dernier de quelque chose que je finis. Je vais maintenant passer à autre chose. |
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Si tu l’envisages comme un tournant, cela sous-entend qu’il y a déjà basculement vers autre chose ? |
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Oui, parce que j’ai commencé il y a un an à écrire de la prose. C’est une autre écriture. Je ne sais pas si je renoncerai à la poésie, je ne m’en crois pas capable. C’est par la poésie que je suis venu à la prose. C’est un tel plaisir pour moi de pouvoir maintenant m’exprimer, ruer, éjaculer, en prose, que je ne peux que continuer. Si je veux que ce livre paraisse, c’est pour me débarrasser de ce que je laisse comme écrits derrière moi, ce qui n’est pas tellement. J’ai maintenant soixante-six ans. En cinquante ans,je ne crois pas avoir |
écrit plus de cent vingt poèmes, ce qui ne fait pas de moi un écrivain prolifique par rapport à d’autres… Je suis sans doute paresseux ou bien alors, c’est parce que j’ai fait du tourisme pendant trente ans dans le désert… Ce qui importe, c’est la qualité. Toute cette période a été celle d’un apprentissage de l’écriture. Je considère que maintenant, j’arrive à la fin de mon apprentissage. Tout ce que j’ai appris, tout ce que je sais de l’écriture, je vais pouvoir l’utiliser pour exposer et travailler mes idées. Je vais devenir un praticien de l’écriture. |
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Quelles sont les lectures qui t’ont marqué tout au long de ton « apprentissage » ?
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A l’école primaire de Monceau-sur-Sambre, en cinquième, un vieil instituteur, Monsieur Lacroix, avait remarqué que je connaissais la signification de beaucoup de mots. Il avait dit à ma mère : « Vous savez, Christian, ce sera un écrivain ! ». A l’école secondaire, j’ai eu comme professeur Monsieur Golenvaux, un amoureux de la langue française. Quand il arrivait en classe le matin, il ouvrait sa serviette et il disait, fou d’excitation : « Ah, hier soir, j’ai lu quelque chose de beau ! Je vais vous le lire. » Il lisait à haute voix avec beaucoup d’enthousiasme. J’étais fasciné et j’ai compris alors le bonheur que l’on peut se procurer à travers la lecture. Monsieur Golenvaux |
croyait lui aussi à ma vocation d’écrivain et j’ai commencé à croire que cela, effectivement, me conviendrait bien. L’écriture a changé ma vie. A trente ans, j’ai publié mes premiers textes, après des années d’une jeunesse difficile où je sombrais dans la délinquance. A vingt-trois ans, j’ai passé un mois à l’annexe psychiatrique d’une prison et, dans ma cellule, j’ai lu « Voyage au bout de la nuit », de Céline. J’avais déjà beaucoup lu. Je me souviens avoir essayé de lire Nietzsche, à l’époque, mais je ne le comprenais pas. Ce n’est que maintenant, après trente ans de désintoxication de pensée bourgeoise anti-nietzschéenne, que je parviens enfin à lire Nietzsche.
J’ai lu les poètes, Henri Michaux, Werner Lambersy et François Jacqmain, le meilleur de tous, celui que je considère comme le plus grand, avec sa façon posée de construire ses textes. J’ai lu aussi les philosophes, Kierkegaard, Ibsen. Tous ne m’ont pas importé quelque chose. Avec Nietzsche, c’est sans doute Camus qui m’a le plus ébranlé, atteint. Je rejoins son idée sur l’absurdité de la vie. Son roman, « L’étranger », m’a littéralement ravagé. Je ne suis pas loin de croire que la majorité des êtres humains se trouvent dans la situation de l’Etranger. Ils vivent en pleine absurdité, dans une indifférence crasse, monumentale, ils ne comprennent rien à ce qui se passe autour d’eux, c’est atroce. Cela ne changera pas. |
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