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Deux articles de Jean-Paul Gavard-Perret |
N °9 |
« FACE A CE QUI SE DéROBE... »
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FACE A CE QUI SE DéROBE...
Philippe Chevallier, "Photographies", galerie Adler, 75 rue du Faubourg Saint-Honoré. 75008 Paris
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Jean-Paul Gavard-Perret
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LE MONDIAL ou LES EXTASES EMBRYONNAIRES |
Formidables mois de juin et juillet 2010 ! En bons mâles nous y vivons de nos mécréances, oublieux de toutes les larmes du monde. Les Grecs peuvent se soulever et les Troyens tomber de haut : peu nous chaut. Ce ne sont plus les détours de leur improvidence qui permettent désormais d'animer les salons où l'on cause. Nous avons déjà anticipé en embrayant sur les histoires de footballeurs notoires surpris dans les bras d'une péripatéticienne pour notre plus grande joie et la leur (d'autant qu'apparemment elle fit plutôt bien son travail). Mais ce n'est là que le prologue pour savourer la marinade des mercenaires milliardaires du ballon rond. La Coupe du Monde arrive, le Coup du Monde est là. Elle rend nos soirées moins moroses tandis que nous regardons les matchs devant notre plateau repas et notre télévision aux écrans désormais plus plats que la peinture flamande. Nous barbouillons notre tête à nous occuper avec sérieux des jeux du cirque moderne pour oublier les montacules de misère. Quel meilleur remède en effet que de s'accrocher aux jambergues des pousseurs de ballon ! A chaque pays son onze. Chaque foule possède son propre multiton. Qu'importe le reste, les pays et leurs constitutions. Pour sauver le nébuleux rébus existentiel un coup de pied de coin suffit. Un défend l'Anglais, un autre l'Allemand. C'est d'un charme exquis et si ça ne nous plaît pas il suffit de gueuler "Amor l'Arbitre". Plus question de burkaka et de fumée sortie de la ventribosse épimentée du volcan islandais au nom imprononçable. On s'abandonne au vent paresseux des youyous nationaux. Le déluge des nappes de fuel et des pétrodollars fond dans notre mémoire. Nos corps exultent de sensations larvées aux brodequins de nos riches ensués. La Coupe est notre orgie. On y péragrine, on s'y indigne. On s'y refait une virilité. Qu'importe si au-dessus de nous le ciel est tout gris. Nous possédons nos tapeurs de ballon pour des soirées hymniques. Nos femmes n'ont qu'à bien se tenir. Dans leur cuisine. A nous la batifolle de notre sous-culture. L'homme est l'ancêtre du Néant-derthal. Et pour toutes colonnes d'Hercule les montants d'une cage de buts suffisent à notre vanité, notre fiat, notre luxe. Emporté par la vague sauvage d'un chant de victoire notre voix se gonfle de la toux de nos ancêtres. Chérie, parle moins fort : ce soir on regarde jouer Messi. Le Messie argentin. Le dieu latin. Sa noble assurance mettra un point d'orgue à une action puissante. Allez, couche les petits… Et pendant que tu y es pense à nous ramener des bières. Mais ferme la porte derrière toi. Vont ainsi les gémeaux hilares, les fédérés de dessous la paillasse noyant leur estomac dans leur cave au houblon. En sort un tonnerre de plaintes ou de hourras c'est selon. Chacun oubliant sa peine en cas de succès national ou se sentant merdeux si son pays perd. Pour l'une deux parties en présence c'est encore un bout d'enfance que maculeront du fond de leur culotte en peau de chagrin les héros vaincus. Suivant les clans l'indignation se fera bleue, indigotte, violette, rouge, orangé. Mais dans chaque camp on boit à la régalade pour faire passer défaites et victoires. Les ondes de chocs s'étiolent de manière jusqu'aux gros caractères des journaux du matin. Se sentant pouilleux ou coq, Childéric ou Heudebert, le soir venu vainqueurs et vaincus seront aussi ronds que leur ballon. Ainsi vont toujours les bœufs à l'eau emportés par l'avalanche qui souffle tous les quatre ans appâtant en faisant pleuvoir dans les salons bière givrée et chips salés. Au soir de la finale quand la coupe est pleine il restera à peine quelques sobriquets affûtés pour l'arbitre qui aura fait basculer le sort du monde d'un côté ou de l'autre des filets. A moins qu'un grand portier de sa dextre de fer ait à la fois dévié le ballon et ouvert la cuisine où les femmes du monde pendant un mois seront restées cloîtrées. Jean-Paul Gavard-Perret.
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