----->

Menu  Cliquez-ici-menu de la revue-                                                                                                 

Lèse-Art Re-Mue

Deux articles de Jean-Paul Gavard-Perret

  N °9

 

« FACE A CE QUI SE DéROBE... »


« LE MONDIAL ou LES EXTASES EMBRYONNAIRES »

 

 

FACE A CE QUI SE DéROBE...

 

Philippe Chevallier, "Photographies", galerie Adler, 75 rue du Faubourg Saint-Honoré. 75008 Paris

 



Les photographies de Philippe Chevallier sont une source de perplexité systématique puisque l'érotisme est présent de manière paradoxale. Plus que le dedans, plus que la peau elle-même c'est l'étui (collants principalement) lui-même qui intéresse le photographe pour ses effets de volume, de brillance, d'induction. Certes les poses sont suggestives : le regard se déplace du corps faussement offert et ouvert vers la présence d'un ordre qui n'est plus seulement "originel" (si l'on reprend ce que Courbet entendait par là).

L'artiste crée volontairement un trouble particulier. Pourtant il feint de se donner pour "naïf" (jouant de son image jusqu'au bout) et prétend ne rien savoir de la photographie. Mais son « spontanéisme » (dit-il) n’a rien de naturel. Passant du polaroïd au numérique sa cartographie du corps féminin oscille entre voyeurisme et exhibitionnisme d’un côté, entre chasteté et pudeur de l’autre. Chevallier pose  le problème de la nudité et de sa feinte, du voile et de la monstration. Tout repose sur le registre de l’ambivalence dans des approches de plus en plus sophistiquées et portées jusqu’à un certain maniérisme. Celui-ci devient la stratégie esthétique nécessaire pour affronter le capiteux et le capiton, le dehors et le dedans. On frôle l’érotisme voire une sorte de pornographie « soft » au moment où paradoxalement le photographe ne cesse de décevoir le regard concupiscent et avide.

Le jeu de l’absence et du présent, du lointain et de la proximité force le regard à se « tordre ». L’œil est porté sur l’existant que Chevallier a soin de caviarder en donnant sa version chaude de ce que faisaient les culottiers du Pape. Moins il montre plus il montre, moins il cache plus il biffe dans un « ordo erotis »   où la matière de rêve  ne peut-être détruite par aucune possession pas même celle du regard puisque l'objet est retiré de la vue. De "l'épaisseur intime" (Gérard Paris) l'artiste ne laisse apparaître qu'un rempart. Celui-ci suggère autant qu'il voile en épousant ce qui est interdit. Aucune fracture n'est possible par cette facture qui émonde, élague, biffe. Ce qui hante reste donc retiré de la vue au moment même où le corps s'expose, sexe-pose, grésille dans une feinte de lubricité.

L'art tient à ce jeu du leurre au carré voire au cube. Nous avons face à de telles poses tout le temps de regarder ce qui nous est retiré, ce qui nous manque. Nous subissons le leurre. Et le leurre du leurre puisque celui-là emporte tout de même vers la cachette qu'il est sensé gardé. Mais Chevallier ne cherche pas à théoriser son travail. Dommage pour lui : les maîtres de la critique plastique ne lui pardonnent pas. Comme s'ils avaient eux-mêmes peur d'être pris dans les mailles des bas qui galbent les cuisses. Le textile ne filant pas il contraint les pères la morale à se défiler face à ce qui se dérobe et qu'ils ne peuvent maîtriser comme s'ils ne savaient plus quoi en dire… Chevallier les enferme dans ses rites où le désir est chantourné. Mais s’ils avaient « des couilles » ils oseraient regarder d’un peu plus près. Car en une telle oeuvre le regardeur se retrouve  près de la vie là où elle est la plus ouverte mais où l'œil ne peut voyager. Le très peu donne beaucoup et le beaucoup très peu. Et on a envie de dire à l'artiste : "Bien joué!" au moment où s'éprouve une joie enfantine et légère.

Par effet de  "masque"  ce travail est sauvé du pur érotisme comme de la fausse pudeur. Le photographe crée un univers de cristal qui sépare du monde le plus intime comme il le fait quasiment pénétrer. L'œil se fixe où le collant est collé. Pas question de détacher le premier du second et celui-ci de ce qu'il cache. L'habit fait la démone et le moine à la fois. Les cuisses en deviennent plus dorées et on aime encore plus leurs courbes tranquilles. Le monde entier est ici au moment même où il est confisqué. Au mieux l'homme caresse du regard : mais n'est-ce pas cela que les critiques moralisateurs de l'art ne peuvent plus supporter ?  Montrer le confluent des cuisses leur paraît sans doute un péché. Mais cela a de quoi ravir l'artiste : il n'en demande pas plus.

En tenant l'objet du désir hors d'atteinte par effet de couture Chevallier fait repousser le fantasme comme du chiendent.  Le vu et la caché s’homogénéisent loin de toute confrontation  et pour une unité secrète au sein même de l’hymen du Nylon et de la peau. Créer n’est pas plus séparer, défaire qu’ouvrir et exhiber. L’union, la fusion chair et textile  deviennent l’inverse de la « con-fusion ». Se cerne un mystère existentiel à travers un art qui seul est susceptible de lui donner formes et volumes. Nous sommes ravis devant cet objet que l'artiste ravit. Nous sommes au milieu d'un limon d'étoiles filantes et en territoire aussi interdit que suave. Le rouge du désir prend des couleurs chair mais par délégation. L'enveloppe fait le jeu ce qu'elle cache - ou presque pas. N'est-ce pas toujours comme ça que l'art, le "vrai", commence ? Que donc  reprocher à de telles prises ? Ce ne sont pas des clichés mais des épreuves. Pour une fois on les espère en rêvant de passer  par leurs mailles. Ne boudons plus notre désir.

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

 

LE MONDIAL ou LES EXTASES EMBRYONNAIRES

 

Formidables mois de juin et juillet 2010 ! En bons mâles nous y vivons de nos mécréances, oublieux de toutes les larmes du monde. Les Grecs peuvent se soulever et les Troyens tomber de haut : peu nous chaut. Ce ne sont plus les détours de leur improvidence qui permettent désormais d'animer les salons où l'on cause. Nous avons déjà anticipé en embrayant sur les histoires de footballeurs notoires surpris dans les bras d'une péripatéticienne pour notre plus grande joie et la leur (d'autant qu'apparemment elle fit plutôt bien son travail). Mais ce n'est là que le prologue pour savourer la marinade des mercenaires milliardaires du ballon rond. La Coupe du Monde arrive, le Coup du Monde est là. Elle rend nos soirées moins moroses tandis que nous regardons les matchs devant notre plateau repas et notre télévision aux écrans désormais plus plats que la peinture flamande. Nous barbouillons notre tête à nous occuper avec sérieux des jeux du cirque moderne pour oublier les montacules de misère. Quel meilleur remède en effet que de s'accrocher aux jambergues des pousseurs de ballon ! A chaque pays son onze. Chaque foule possède son propre multiton. Qu'importe le reste, les pays et leurs constitutions. Pour sauver le nébuleux rébus existentiel un coup de pied de coin suffit. Un défend l'Anglais, un autre l'Allemand. C'est d'un charme exquis et si ça ne nous plaît pas il suffit de gueuler "Amor l'Arbitre". Plus question de burkaka et de fumée sortie de la ventribosse épimentée du volcan islandais au nom imprononçable. On s'abandonne au vent paresseux des youyous nationaux. Le déluge des nappes de fuel et des pétrodollars fond dans notre mémoire. Nos corps exultent de sensations larvées aux brodequins de nos riches ensués. La Coupe est notre orgie. On y péragrine, on s'y indigne. On s'y refait une virilité. Qu'importe si au-dessus de nous le ciel est tout gris. Nous possédons nos tapeurs de ballon pour des soirées hymniques. Nos femmes n'ont qu'à bien se tenir. Dans leur cuisine. A nous la batifolle de notre sous-culture. L'homme est l'ancêtre du Néant-derthal. Et pour toutes colonnes d'Hercule les montants d'une cage de buts suffisent à notre vanité, notre fiat, notre luxe.  Emporté par la vague sauvage d'un chant de victoire notre voix se gonfle de la toux de nos ancêtres. Chérie, parle moins fort : ce soir on regarde jouer Messi. Le Messie argentin. Le dieu latin.  Sa noble assurance mettra un point d'orgue à une action puissante. Allez, couche les petits… Et pendant que tu y es pense à nous ramener des bières. Mais ferme la porte derrière toi. Vont ainsi les gémeaux hilares, les fédérés de dessous la paillasse noyant leur estomac dans leur cave au houblon. En sort un tonnerre de plaintes ou de hourras c'est selon. Chacun oubliant sa peine en cas de succès national ou se sentant merdeux si son pays perd. Pour l'une deux parties en présence c'est encore un bout d'enfance que maculeront du fond de leur culotte en peau de chagrin les héros vaincus.  Suivant les clans l'indignation se fera bleue, indigotte, violette, rouge, orangé. Mais dans chaque camp  on boit à la régalade pour faire passer défaites et victoires. Les ondes de chocs s'étiolent de manière jusqu'aux gros caractères des journaux du matin. Se sentant pouilleux ou coq, Childéric ou Heudebert, le soir venu vainqueurs et vaincus seront aussi  ronds que leur ballon. Ainsi vont toujours les bœufs à l'eau emportés par l'avalanche qui souffle tous les quatre ans appâtant en faisant pleuvoir dans les salons bière givrée et  chips salés. Au soir de la finale quand la coupe est pleine il restera à peine quelques sobriquets affûtés pour l'arbitre  qui aura fait basculer le sort du monde d'un côté ou de l'autre des filets. A moins qu'un grand portier de sa dextre de fer ait à la fois dévié le ballon  et ouvert la cuisine où  les femmes du monde pendant un mois seront restées cloîtrées.

Jean-Paul Gavard-Perret.

 

 

 

 

a