Fais-moi un Conte .
14 e concours.
« Le murmure de l’arbre »
Quand j’étais petite, mon grand-père me disait toujours : « Rien de tel que le murmure de mon arbre pour s’endormir… »
Je n’avais que trois ou quatre ans mais je me souviens de l’air sérieux et un peu triste qu’il prenait pour me dire cela.
Et Il est parti trop tôt, mon tendre grand-père; ridé par les soucis, usé par les travaux, courbé par l’âge… Il est parti sur les vastes chemins de l’âme où il m’attend, j’en suis sûr…
Puis, me voilà, en âge de retraire à mon tour, en train de conter ma quête, à toi ma petite-fille, chair de ma chair, qui quémande l’histoire du soir pour mieux plonger dans les rêves. Chaque soir, tu me demandes et chaque soir, ma quête s’orne d’aventures nouvelles…
Quand j’ai grandi, longtemps, il m’a fui le sommeil réparateur et dans ces moments de « bataille en roulé-boulé » sous les draps pour tenter de saisir les rêves pendant que mille moutons défilaient en vain dans ma tête, la phrase de mon grand-père revenait me hanter.
« Rien de tel que le murmure de mon arbre pour s’endormir… »
Alors, je me suis mise en quête de l’arbre qui, par son murmure, pourrait enfin me délivrer de mes insomnies.
J’ai demandé de l’aide aux vents.
Les Zéphyrs et les Aquilons et tous leurs copains plus ou moins doux, plus ou moins violents s’y sont mis.
Ils ont soufflé dans le saule pleureur, un murmure mélancolique, j’ai entendu, mais jamais le sommeil ne m’est venu ! Puis ils ont fait frémir les feuilles du baobab et le murmure se fit chanson, fut plus soutenu ; des pains de singe, j’ai obtenus, mais jamais, le sommeil ne m’est venu !
Ils firent appel au blizzard et à la bise, ils ont caressé l’arbrisseau, ce fut guilleret, un tantinet espiègle; mais jamais, le sommeil ne m’est venu ! Ils s’en sont pris au houx et à l’aubépine, le son fut plus pointu, mais jamais, le sommeil ne m’est venu.
Ils ont tenté de coucher les roseaux géants de Camargue et les bambous; ils ont changé de saison, du printemps jusqu’à l’hiver, ils ont soufflé, soufflé…ce fut plus chaud ou glacial ou « mambo », parfois ténu mais jamais, le sommeil ne m’est venu !
Je leur ai dit, peut-être faut-il chercher la senteur particulière et ils ont soufflé dans le noisetier, et dans le pin, puis dans le santal si parfumé…
Mes narines ont frémi, mon corps s’est agité, parfois, la tête m’a tourné et j’ai chu mais jamais, le sommeil ne m’est venu.
Aux premiers frimas, j’ai pensé à la bûche ! j’ai craqué l’allumette, le bois s’est enflammé. Devant l’âtre, mes mains, j’ai réchauffé. Le crépitement de la souche et les flammèches dansantes m’ont allumé des étincelles dans les yeux. J’ai tout bien regardé, j’ai
tout bien entendu ; j’ai bien tout écouté et tout bien vu, mais jamais, jamais, le sommeil ne m’est venu !
En décembre, j’ai pensé à l’Arbre de Noël, j’ai fait ma couche à son pied. Sous ses branches basses, je me suis étendue...A l’aube, Le Père à barbe blanche m’a surprise yeux grands ouverts, teint blafard et pieds nus parce que jamais, le sommeil n’était venu !
Alors, je me suis tournée vers l’arbre généalogique, de la cime aux racines, je l’ai parcouru ; j’ai lu toutes les dates, compté tous les âges, étudié toutes les photos;sur sa branche, mon grand-père me souriait d’un air entendu, mais jamais, le sommeil ne m’est venu.
En désespoir de cause, je suis allée à Arbre, ce joli petit village de Belgique, niché entre Sambre et Meuse. J’y ai loué un logis, j’ai flâné le long des rives du Burnot, j’ai visité ses châteaux, ses fermes anciennes, je me suis promenée et bien fatiguée sur ses chemins de campagne, j’ai écouté tous ses murmures du jour et tous ceux de la nuit, les tisanes calmantes du soir ? Si vous saviez combien j’ai ai bu, mais jamais, le sommeil ne m’est venu !
Je … Mais voilà que déjà, tu dors, mon ange, ma petite Jade, te voilà dans ton rêve, sans savoir si ma quête a un jour trouvé sa fin.
Et tous les soirs, tu me demandes et tous les soirs, la quête s’orne de nouvelles expériences, et toujours, le sommeil te vient avant la fin….
Voulez-vous quand même savoir si j’ai pu dénouer les fils ?
Voulez-vous savoir si j’ai pu déjouer les caprices de ce sommeil si fuyant ?
Le voulez-vous ???
Et bien, je vais vous le dire. C’est ma grand-mère qui m’a donné la clé de mes songes et depuis, il ne me fuit plus ce sommeil tant cherché car à l’instant -même où j’ai compris, l’obsession s’est enfuie, mes paupières se sont posées et j’ai pu, enfin, me reposer.
Mon Grand-père était mécanicien sur les bateaux, il travaillait vite, il travaillait bien, il travaillait dur. Et quand le soir, dans sa couchette, il se laissait aller, c’est le murmure de l’arbre… à cames du moteur de son bateau qui, par son mouvement de sourd va-et-vient berçait mon grand-père d’une mécanique mélopée et le plongeait à coup sûr dans un sommeil réparateur.
Quand il a pris sa retraite et qu’il a définitivement mis le pied sur terre, mon grand-père a connu une période morose et ma grand-mère ne savait que faire pour lui rendre son sourire. Elle ne comprenait pas ce qui le chiffonnait et prenait comme un rejet personnel le mutisme de son mari jusqu’à ce qu’il lui avoue que les bruits de son métier lui manquaient et plus spécialement le murmure de son arbre. Du coup, il n’arrivait plus à s’endormir et ça le rendait dépressif. D’où cette phrase mélancolique qui m’a tant suivie : « Rien de tel que le murmure de mon arbre pour s’endormir… »
Futée, ma grand-mère est allée enregistrer tous ces bruits familiers si indispensables à l’équilibre de son mari. Elle en a fait une cassette qu’elle lui offrit et qu’ il se passait en boucle tous les soirs, au coucher.
A partir de ce moment, il retrouva le sommeil et, par la même occasion, sa bonne humeur! C’est ainsi aussi que j’ai compris pourquoi, malgré tout l’amour qui les unissait et à ma grande déconvenue, mes grands-parents faisaient …chambre à part.
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