Pourquoi je ne suis pas allée à la Foire du Livre.
Enfant, déjà, je n’aimais pas les grand-messes. On m’y emmenait quand même – cela arrivait souvent, ma famille était très catholique et ma mère faisait partie de la chorale – et il me semblait que j’étouffais sous le poids de tant de solennités. Les prêches interminables, les génuflexions, l’odeur de l’encens… J’avais beau essayer de me distraire en jouant visuellement avec les losanges multicolores que projetait sur les murs la lumière filtrée par les vitraux, au bout d’un moment, la nausée me gagnait. J’étais saturée, j’avais besoin d’air, il fallait que je sorte ou bien j’allais vomir.
Adolescente, j’ai fini par me rebeller et je n’ai plus jamais assisté à aucune grand-messe. Du moins à celles qui se font dans les églises.
Je l’avoue, il m’est arrivé d’aller à la Foire du Livre de Bruxelles. Au Centre Rogier, déjà. J’y entrais avec l’espoir insensé d’y trouver LE livre qui changerait ma vie et j’en ressortais flouée, m’étant fait arnaquer par l’un ou l’autre marchand du temple un peu plus racoleur que les autres. Dans mon cabas, j’emportais, outre l’objet de ma honte rétrospective, une cargaison de prospectus qui finiraient à alimenter le feu après un séjour prolongé dans un des tiroirs de la commode. L’enfer après le purgatoire…
A la Foire du Livre, une année où elle se déroulait sous chapiteau au Mont des Arts, j’ai failli perdre la vie, en plus des quelques centaines de francs que j’avais dépensés à mon corps défendant, histoire de ne pas m’être déplacée pour rien. Une alerte à la bombe a créé dans la foule un moment de panique et j’ai été emportée dans un flot mouvant qui m’écrasait (les seins) en son sein. J’imaginais déjà les titres dans les journaux du lendemain : « A la Foire du Livre, plusieurs victimes de la presse. »
Mon impression d’étouffement avait trouvé sa justification.
Y suis-je retournée depuis ? Oui, une dernière fois, parce que une amie avait triomphalement brandi sous mon nez deux entrées gratuites. Je n’avais pas voulu la décevoir. Mais c’était la fois de trop. Dégoûtée par le mercantilisme omniprésent, je me suis enfuie. Quand on voit le prix demandé pour un emplacement, sans compter les frais d’inscription et de dossier, on comprend mieux l’acharnement déployé à rameuter les clients.
Parfois, la curiosité me titille un peu mais je résiste. Cette année, par exemple, je serais bien allée voir Nicolas Ancion écrire dans sa cage mais j’éprouve toujours un sentiment de malaise dans les zoos… dans les cirques aussi.
Cela fait donc plusieurs années que je ne vais plus à la Foire du Livre. Vous me direz que j’ai manqué pas mal de changements et vous aurez sans doute raison. Je préfère rester chez moi avec un bon livre et savourer une tasse de thé ainsi que mon confort égoïste, enfouie dans les profondeurs du divan du salon… Ma vision de la Foire du Livre tient donc autant de l’imagination (pour ne pas dire du fantasme) que de la réminiscence.
Quand j’essaie de faire appel à mes souvenirs, je revois une sorte de labyrinthe courant entre des stands à l’éclairage agressif, j’entends la cacophonie des annonces haut-parlées et j’ai encore en mémoire cette sensation de bousculade et de claustrophobie, cette fièvre acheteuse qui se propage comme un virus, cette mise en vitrine de quelques malheureux auteurs qui se collent à la corvée de la signature, pour autant que le public soit intéressé…
En 2008 et 2009 a au lieu à Bruxelles une Foire du livre OFF, à l’initiative de petits éditeurs et distributeurs indépendants. Je n’y suis jamais allée non plus, pour la bonne (ou mauvaise) raison que j’ignorais son existence. Je ne sais d’ailleurs pas si l’événement a été réitéré cette année. J’ai essayé de me renseigner mais le site internet http://www.le-off.be/ est indisponible à l’heure où j’écris. Si certains lecteurs de ReMue en savent plus, qu’ils nous le disent !
Car l’intention était bonne. Pour promouvoir la Foire OFF 2009, les organisateurs écrivaient :
« Parce que tout auteur est plus qu’une bête à produire, un éditeur plus qu’une bête à promouvoir, un libraire plus qu’une bête à vendre, et le lecteur plus qu’une bête à consommer.
Parce que l’actuelle Foire du livre « in » ressemble au salon de l'auto, fait de touchants efforts en ce sens, mais sera toujours moins ‘sympa’ que Batibouw .
Parce que nous sommes sympathiques et parfois impertinents.
Et Parce que s’il doit y avoir un « Invité d’Honneur » dans une Foire, un Salon ou un Marché, celui-ci ne peut être que le Public et le Désir de Création.
Le off tient à proposer une autre conception de l’édition et de la création, «en dehors», « en off » des marchés classiques et de ses « impératifs » : ni contre, ni tout contre, ni en travers : en dehors. »
Voilà qui ressemble fort à parole de lézards !
Jo Hubert.
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