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| La poésie peut-elle envisager des alliances avec d’autres domaines artistiques, comme les arts plastiques, le cinéma, la BD… ? Dans le cadre d’une telle collaboration, pour autant qu’elle soit possible, est-ce l’image qui illustre le texte ou le texte qui illustre l’image ? Autrement dit, le texte doit-il précéder l’image ? |
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Dans le cadre du projet « Il n’y a pas d’âge pour aimer » (2006) et dans sa suite « Il n’y a pas d’âge pour se faire un monde » (2009), les interactions se sont faites entre photographie, poésie et musique/son. Du coup, nous disposons, pour mener à bien notre « cheval de Troie » d’une écriture partagée, de plusieurs outils qui se combinent l’un l’autre : recueil, CD, exposition photos-poèmes, lecture poétique et musicale et ateliers d’écriture. |
Je crois avoir dit que j’aimais relever les défis et en particulier celui de mettre en place des projets d’écriture qui réconcilient les gens avec eux-mêmes en leur faisant découvrir des capacités qu’ils ne soupçonnaient pas, d’où le travail avec des enfants de zones sensibles, des personnes en précarité, des collégiens ou lycéens décrocheurs… mais aussi la population d’un village comme en 2009 à St Siméon de Bressieux lors d’une résidence d’écrivain au cours de laquelle pas moins de 500 textes ont été écrits donnant lieu à une pièce de théâtre « Des vies sur le fil » mise en scène par Yves Doncque (Théâtre du réel) et à une lecture poétique et musicale « Fragments réinventés de mémoire ouvrière » que nous colportons bien au-delà du village qui a vu sa naissance. On y entend une poésie écrite par les habitants du village à propos de la vie gravitant autour de l’usine de soierie, écriture qui leur fait découvrir que leur usine constituait déjà au 19ème siècle l’une des premières délocalisations mise en œuvre par les patrons soyeux lyonnais à la suite des révoltes des canuts. Dans ce projet, ce sont poésie, musique, théâtre et même travail de clown qui se sont « augmentés de leur différence » selon la formule de Saint Exupéry.
Et tout récemment, avec Hélène Cohen-Solal, plasticienne de Saint Denis (93), nous avons travaillé à un livre d’artistes : Le mot « départ » comme point de départ. Elle, de son côté, réalise quelques esquisses. Dans le même
temps, je jette sur le papier quelques mots, même pas des bribes, juste des mots que je laisse cheminer quelques semaines. Elle m’envoie ses esquisses, je les fais se rencontrer avec mes premiers mots, il en ressort quelques fragments. Le temps passe. Je reçois les premiers originaux. Et là je m’enferme plusieurs jours à travailler le texte, grattant ses images, interprétant, détournant sans doute, les faisant miennes. Je lui renvoie le texte sans titre. Elle reprend ses planches et y apporte de nouvelles touches, elle me demande un titre. Je lui en propose deux ou trois, elle choisit : ce sera « Ailleurs ». Non pas mon livre, non pas le sien, mais un vrai « nôtre ». Et puis on n’en est pas tout à fait resté là, puisqu’à l’occasion du vernissage de son exposition à Montreuil, nous sommes venus, François Thollet (accordéon, ukulélé), Pascal Thollet (guitares) et moi-même, en présenter une lecture poétique et musicale.
Pour finir cette interview, je te présenterais volontiers la création 2010 des « passeurs » dont les lecteurs peuvent entendre des extraits sur http://www.myspace.com/12secondessurterre . En voici l’intention :
Douze secondes sur terre…
Douze secondes sur terre… Peut-être ce que représente le passage de l’espèce humaine sur la terre depuis l’origine du monde… et quelques miettes d’éternité pour signifier cette continuité des sentiments, des émotions, des émois qui font frissonner chaque être au cours de son microscopique laps de vie à l’échelle du cosmos.
Les fragments d’histoires que nous vous présentons montrent combien tous les ordinaires peuvent ouvrir des sentiers d’humanité.
Comment ne pas prendre le chemin avec toi ma rieuse, ma rôdeuse, ma sans-âge, et se dire qu’il n’est jamais trop tard pour aller de l’avant avec humilité, sagesse et détermination.
Ce ne sera jamais sans se demander vers où va la vie. Car si chacun joue sa propre partition, personne ne peut errer sans but sur les routes de l’histoire. Ici, c’est le quotidien égrené dans sa banalité qui s’entremêle aux méandres du grand journal de la communauté des hommes. Nous ne sommes que passants de mort à mort, de naître à naître, parfois passeurs à la fenêtre d’un peu de rien, d’un brin de tout, de quelque saveur de savoir.
Il se peut que certaine nuit d’insomnie, le vent aiguise les rêves et qu’en cette nuit secrète, la toute première dans l’intime fragile de deux amants, on ait cette sensation d’ultime, de hors-temps, d’harmonie qu’aucune querelle amoureuse ne peut troubler et qui nous inscrit héros bref mais pas moins conquérant de la litanie des lumières et des obscurités.
Tu t’appelles Anna, Marie, Gurkan, Théo, Léa, Issam, Sophia, … tu viens de partout, jamais de nulle part. Je ne te connaissais pas, je t’ai appris, dans la connivence du poste de travail, dans la complicité des luttes, à travers les battements de ton cœur, Anna… On a connu les jours qui boitent, les matins d’éclat, les nuages, la peur et la confiance qui manque, la méfiance aussi. J’aurais voulu toucher le ciel ; toi, mon ange, tu y étais déjà.
On a passé parfois le plus clair de son temps à ne pas se voir, à ne pas s’entendre, à se jouer l’un de l’autre, à se perdre au labyrinthe des rancœurs, dans les flots d’amertume et les relents d’oublis, dans ce quotidien qui épuise les sentiments, ce briseur de serments. Alors on a effacé les rires d’avant, jusqu’à n’avoir plus que le cri pour se sentir vivant.
Combien de fois, comme au bord du néant, on se sera entendu dire, mon vieux, tu déconnes, tu radotes, tu ressasses. Parce qu’avec le temps qui fuit, parce qu’avec la douleur de survivre aux petites histoires, aux fadaises et fariboles, parce qu’avec les toujours et les peut-être, on s’est laissé gagné d’usure. On a tourné en rond, dans l’ici et l’ailleurs.
Chacun son destin sans doute, chacun ses tristesses, ses deuils, ses séparations, ses rêves tordus, son ignorance. Et quand on cède, quand on se soumet à la couleur d’un ciel, quel que soit le soleil, et sous l’indifférence, sous les non-dits, dans les silences, on est contraint au constat : il pleut, elle pleure.
Vous les avez bien connus, elle, l’hirondelle et le bossu. Elle, c’était n’importe qui, ça aurait pu être vous. L’hirondelle, c’était la chance, il aurait fallu qu’elle vienne à chaque saison. Le bossu, c’est la vie, abîmée, bosselée, cabossée… et toujours là, même quand elle n’est plus là.
Et vous vous dites : mais comment ça a pu se passer ? Comment j’ai pu laisser faire ça ? Alors vous regardez dans la glace, en quête de ce double, de ce mystère qui vous habite, qui nous habite de terreurs intérieures, à la recherche de ce qui cloche en soi, de ce monstre qui est moi.
Amour, abricot, bachi-bouzouk, bijou, bizarre, chic, clown, mètre, passe-partout, valser. C’est une douce amère valse que la vie, avec moi impuissant et toi impassible, avec moi désarmé et toi désarmante, avec toi enfermée au passé et moi conditionné au conditionnel abstrait, avec moi activiste et toi autiste, cloués dans le coma de nos amours contrariées.
Ça grince parfois de vivre et le temps ne fait rien à l’affaire. Les vertèbres moins souples, on se complait dans nos rhumatismes de solitude, on écoute le tic-tac de l’horloge qui nous berce de regrets en remords. Et quelle culpabilité on porte, ou simplement quelle responsabilité : on a vécu un âge d’or, a-t-on le droit à l’insouciance. Qu’avons-nous à léguer ? Serons-nous les survivants d’aimer, le dernier noyau, l’ultime pépin du monde ? Le jardin de nos enfants sera-t-il autrement qu’Hiroshima 2020.
Ne croyez pas que je me désespère, même si je meurs de tout, de rien, de vous, de moi, des arrangements entre amis, des compromis avec dieu, des accommodements avec le diable. De l’homme minuscule et des cicatrices qu’il inflige à sa mère, la terre. Je voudrais être fourmi et livrer un portrait de la terre plus lumineux. Mais c’est ainsi. Et pourtant dans le fatras du monde, nous sommes deux et toi, tu me donnes beaucoup plus que l’aube. Nous sommes deux ˝je˝ ordinaires qui s’aiment et là, malgré tout, la vie l’emporte… car tous les ordinaires peuvent ouvrir des sentiers d’humanité.
Après avoir travaillé plusieurs années ensemble l’improvisation musicale sur poèmes, les passeurs ont voulu pousser l’aventure plus loin encore, s’obligeant à la composition musicale... Ainsi, cette fois, la rencontre entre le poète et les 4 musiciens a lieu dans un triple mouvement. Les 4 musiciens s’emparent de l’univers du poète, choisissent parmi ses écrits ceux qui correspondent pour eux à l’intention du spectacle et composent sur chaque texte une musique originale. Ils invitent alors le poète à entrer à sa manière dans le jeu musical. Enfin, par l’effet d’anecdotes le plus souvent autobiographiques glissées entre les compositions, « 12 secondes sur terre » prend l’allure d’un conte moderne, un récit de vie, une vie singulière bien sûr mais qui entre en résonnance avec l’ordinaire extraordinaire de chacun…
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CE concert poétique démarre sa programmation avec une dizaine de dates d’abord en région Rhône-Alpes, mais nous envisageons une tournée dans tous les lieux qui croient à la « rencontre fortuite sur une table de dissection entre une machine à coudre et un parapluie »1, la poésie et la musique. Tous les pays de la francophonie peuvent être concernés. Faites-le savoir.
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