Par temps froid, les lézards hibernent pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Pour ce faire, ils recherchent les anfractuosités des murs ou des rochers.
La création artistique et littéraire montrerait-elle aussi des signes de ralentissement hivernal, de sclérose barométrique ? L’image de l’écrivain impécunieux, emmitouflé dans trois pulls, une écharpe, un bonnet de laine et deux couvertures, mitaines aux mains, se demandant avec angoisse quelle est la température de congélation de l’encre, est-elle devenue un mythe ? Ou, au contraire, ne risque-t-elle pas de resservir, crise oblige ?
Les mitaines – et même les gants, pour autant qu’ils ne soient pas tricotés en grosse laine - sont parfaitement compatibles avec l’utilisation du clavier, j’en ai fait l’expérience. La situation n’est pas confortable mais être au service de la littérature vaut bien quelques sacrifices. D’ailleurs, autant le dire tout de suite, écrire réchauffe. Encore faut-il que le cerveau suive et ne produise pas que du réchauffé, risque évident de buée sur l’écran, histoire de masquer la médiocrité des idées.
Le concours de nouvelles de la Communauté française (de Belgique) arrive à point nommé pour nous sauver de la léthargie. D’autant plus que le thème, cette fois, est « Tout bascule ». Cela m’attire : quand tout bascule, ça ReMue !
Le problème est que je n’aime pas trop les concours, ni d’ailleurs les prix littéraires. Ça sent l’école et l’instruction obligatoire, ça fait un peu trop « panem et circenses » à mon goût. Je ne mange pas de ce pain là. Ou plutôt, je n’en mange plus. Car je me suis longtemps laissé berner d’illusions et cru qu’une écriture couronnée est une écriture chevronnée, que les sardines de sergent délivrées par le Ministère et autres institutions officielles ouvraient la porte de la cour des grands et qu’il fallait donc se soumettre aux épreuves préliminaires, éliminatoires et autres.
Aujourd’hui, l’idée de compétition me cause des indigestions et le seul mot de « Ministère », surtout quand il s’agit du domaine de la création, suffit à me refiler des boutons. Oh, j’écrirais bien quelque chose sur le thème. Le thème imposé, comme nous le sommes tous. Car c’est vrai que tout bascule, même les ministres. Parfois sans plus, quand le gouvernement est renversé. Parfois aussi dans quelque chose (la corruption, le stupre, la dépression, voire l’opposition et j’en passe). Il y a là motif à verser l’encre, à lever l’ancre…
 Connaissance prise du règlement, il se révèle que la mouture de cette année se révèle plus « kalamitée » encore (comme on dirait « dynamitée ») que les précédentes. Je n’ai pas dit « kalamiteuse ». Sans mettre en doute les compétences des animateurs du réseau Kalame (inféodé au Ministère de la Communauté française), force m’est de constater que l’écriture, une fois de plus, sera récupérée par les instances officielles, y compris par le biais de l’accompagnement facultatif (qui osera le refuser ?), par des experts en écriture, des cinquante présélectionnés, dans une démarche de réécriture (pour les remettre dans le droit chemin ?).  D’ici à ce que l’acte d’écrire et, a fortiori l’animation d’ateliers d’écriture, deviennent des métiers protégés, assujettis à l’approbation du « Ministère », combien de temps encore ?
L’écriture est un acte solitaire et spontané. La réécriture est souvent indispensable pour arriver à un texte abouti et, si l’avis de plusieurs lecteurs est souvent précieux, point n’est besoin pour autant d’un coaching, pour utiliser le mot à la mode. Pourquoi ne pas plutôt se retrouver entre écrivants, en des réunions conviviales et informelles, où chacun aurait son mot à dire, libre de toute influence ?
J’ai peur, très peur, d’une écriture récupérée, policée, formatée, standardisée, passée sous les fourches caudines des institutions et le couperet castrateur du pouvoir en place. Quand je pense à cette éventualité, j’ai peur et je suis en colère.
C’est bon signe, car la colère est facteur de mouvement, de changement. Ça fait re-muer.
Moi, en froid avec l’écriture ? Jamais !

Jo(siane) Hubert.