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Lèse-Art Re-Mue

RE-MUE revue littéraire des lézards en mutation permanente.

Chaque mois, RE-MUE donne la parole à un nouvel invité

  N °11

   
 

Notre invité : NEmo

A l’heure de boucler le numéro du mois d’août, nous sommes sans nouvelles de notre invité. Nous avons tenté de prendre contact avec lui par tous les moyens disponibles, en vain.
A l’unanimité, le comité de rédaction de ReMue a décidé de ne pas remplacer l’invité absent par un autre mais de tirer parti de cette absence même, en réalisant la non-interview d’un non-invité plutôt versatile.

La non-interview a été réalisée, par Enaisoj Trebuh et Trebor Zelrav.

 

 

 

REMUE : Cher non-invité, votre absence est une première pour nous et, dans ces circonstances inédites (et inécrites), vous nous voyez un peu perplexes. Tout d’abord, acceptez-vous de nous révéler votre identité ou préférez-vous être interviewé sous le couvert de l’anonymat ?

 

Non-invité : Je préfère sortir couvert, surtout dans ReMue. Appelez-moi Nemo.

 

 

 

 

REMUE : Nemo ? Comme le capitaine du même nom ? Ou comme « personne », en latin ?

 

Nemo : Soyez de votre époque : Nemo est un poisson-clown, né chez Disney en 2003. Il a une nageoire atrophiée, cette caractéristique me rend proche de lui. Vous comprendrez bientôt pourquoi.

 

REMUE : Nemo, comment se fait-il que vous n’avez jamais rien écrit,  et même jamais eu l’envie d’écrire, d’après ce que vous  nous avez laissé sous-entendre ?

 

 

Nemo : A cause de ma nageoire atrophiée, précisément ! C’est comme si mon bras droit se paralysait à chaque fois que je prends la plume. Mes doigts se recroquevillent, une crampe douloureuse m’étreint la main. C’est la crampe du non-écrivain ! Vous m’objecterez que ce non-argument ne tient pas debout, je pourrais écrire de la main gauche ou travailler à l’ordinateur. Eh bien, figurez-vous que la même paralysie s’empare de mon bras gauche dès que je m’approche d’un clavier. Je me retrouve comme un manchot, incapable d’écrire, incapable de prendre mon essor. Vous savez, même pour payer mes factures, je dois m’en remettre à ma femme. C’est vous dire…

 

 

REMUE : Et à quoi attribuez-vous ce handicap ? Avez-vous consulté ?

 

 

Nemo : Eh bien, à vrai dire, jusqu’aujourd’hui, je n’avais jamais réalisé qu’il s’agissait d’un handicap. Je me disais que j’étais fait comme ça. Certains sont doués pour écrire ou pour imaginer des histoires, tandis que moi, Nemo, je suis plutôt porté sur le travail manuel. Mon dada à moi (qui n’a rien à voir avec votre Dada à vous), c’est de réparer les appareils et machines qui tombent en panne, de tuner ma voiture, ce genre de choses… Alors, non, je n’ai jamais vu de médecin, parce que l’écriture, franchement, ça ne me manque pas.

 

 

REMUE : N’avez-vous jamais pensé à vous exprimer par une autre forme d’art, le dessin, la gravure, la peinture, le collage ?

 

 

 

 

Nemo : Franchement non, moi, tous ces trucs-là, ça ne me branche pas !  Mes loisirs, je les passe à bichonner ma voiture, ou alors, quand il fait beau, j’emmène toute la petite famille en promenade dans la nature ou dans un parc d’attractions. Vous êtes déjà allé à Euro-Disney ? Non ? Dépêchez-vous avant d’être trop vieux. C’est gé-nial !

 

REMUE : Pourtant, il vous est sûrement arrivé de voir l’une ou l’autre œuvre d’art, ou du moins une reproduction. N’avez-vous, par exemple,  jamais visité la galerie virtuelle Lèse-Art, sur Internet. Cela vaut le clin d’œil, je veux dire le coup d’œil ! Qu’est-ce que cela vous a fait ?

 

 

Nemo (qui se gratte la tête) : Lézard, késaco ? Non, ça ne me dit rien… Une œuvre d’art ? Ben… Ben, je ne me souviens pas vraiment… Ah, si ! Chez ma mère, il y a un tableau au mur, une reproduction de Van Gogh, je crois. Ça s’appelle… attendez… Ah oui, j’y suis : « Café de nuit ». Drôles de couleurs, si vous voulez mon avis. Il devait être un peu daltonien, le gars !

 

 

 

REMUE : Restons-en là pour les arts plastiques. Et la lecture, Monsieur Nemo ? Dites-nous, quelles sont vos lectures préférées ?

 

 
Nemo : « La Nouvelle Gazette » ! Je lis surtout la première page et les résultats sportifs. Parfois aussi l’un ou l’autre article quand il y a eu un meurtre ou un grave accident dans ma région. Ainsi, j’ai déjà une bonne idée de l’actualité. Sans compter que je regarde aussi les infos à la télé, sur RTL-Tvi. Je ne suis pas ignare. Mais nous sommes un peu hors du sujet, là, n’est-ce pas ? Mes lectures ? Ben, à vrai dire, c’est comme pour les arts… Vous savez, il faut que je vous dise. Moi, je n’ai pas fait de grandes études. A l’école professionnelle, on ne nous a

jamais beaucoup encouragés à lire ni à peindre, dessiner et tout ça.  A la maison, kif-kif : les parents, ils pensaient que c’était une perte de temps. Lire, écrire, dessiner, ça ne rapporte rien, pas vrai ? A l’école, quand on était pris à faire des petits dessins dans les marges de nos cahiers, on se faisait engueuler et punir, en plus.
Je vais vous dire : pour moi, les arts, l’écriture, tout ça, ça ne sert pas à grand-chose. Je ne voudrais pas vous faire de peine, je sais qu’à vous ça paraît important, mais, à vrai dire, je ne comprends pas. Pourquoi encore passer son temps à peindre ou à dessiner quand on peut faire de belles photos avec son appareil numérique, sans même devoir régler quoi que ce soit. Tout est automatique et, au moins, les couleurs sont convenables, réalistes, pas comme dans ce foutu tableau de Van Gogh.  Quant à l’écriture, faut être maso pour vouloir écrire, quand il y a déjà tant de livres ! Je suis allé une fois à la bibliothèque avec mon gamin qui devait lire un livre pour l’école et quand j’ai vu toutes ces étagères pleines de bouquins, je me suis dit : « Eh ben mon vieux, si tu devais lire tout ça, tu n’aurais plus le temps de faire quoi que ce soit d’utile de tes journées ! ». Et vous voudriez qu’on en écrive encore d’autres, de livres ? Z’êtes tous un peu zinzins, vous, les intellos.

 

 

REMUE : Monsieur Nemo, pardonnez mon impertinence, mais il me semble que votre langage se détériore, que vous vous livrez à un certain laisser-aller au fur et à mesure de cette non-interview. Est-ce le naturel qui revient au galop ou alors est-ce une pose que vous prenez ?  Vous caricaturez-vous vous-même ?

 

 
Nemo (petit rire gêné) : Oui, bon, je voulais voir jusqu’où je pouvais aller avant de me faire remonter les bretelles ! Vous m’avez percé à jour… N’empêche, tout ce que j’ai dit, c’est ce que pensent pas mal de gens. C’est vrai, que l’école et le milieu familial n’incitent pas vraiment les enfants ni les ados à sortir du troupeau par le biais des arts ou de l’écriture. Tout au plus les encourage-t-on à l’ascension sociale par leur réussite professionnelle… Nous vivons dans une époque où, pour être bien considéré, il faut pouvoir dépenser… et le montrer. Je n’y vois, pour ma part, rien de répréhensible, surtout si c’est de l’argent

honnêtement gagné. Et puis, les politiques ne font pas grand-chose non plus pour promouvoir l’art et la littérature. On dépensera plus volontiers les deniers publics pour  financer une salle omnisports que pour un centre culturel, n’est-ce pas ? Mais, encore une fois, moi, je ne m’en plains pas, j’essaie juste de me mettre à votre place et, à votre place, eh bien, je serais drôlement frustré !

 

 

 

REMUE : Vous savez, il y a une certaine satisfaction à nager à contre-courant tout en essayant de se maintenir à flot, et une plus grande satisfaction encore à y parvenir sans quémander l’aide des pouvoirs publics. Exercer son art en toute liberté, je ne connais rien de plus enivrant, même si cela ne nourrit pas son homme ou sa femme !

 

Nemo : La liberté ? Oui, j’ai entendu parler de ça, autrefois, quand j’étais jeune. Je pense même que j’y ai cru, tout comme je croyais en Dieu quand j’étais petit. Mais quand on est adulte, la liberté, on sait tous que ça n’existe pas ! Faut rentrer dans le rang, mordre sur sa chique et faire son boulot. Bon, c’est pas tout, ça, il faut bientôt que je m’en aille, ma femme m’attend pour les courses. Vous avez encore d’autres questions ?

 

 

REMUE : Une dernière. Qu’est-ce que ça vous fait de savoir que vous ne serez jamais l’invité de ReMue ? Cela ne vous laisse-t-il pas une sensation de manque, une frustration, l’impression d’une occasion ratée de vous exprimer sur des questions essentielles, pour ne pas dire existentielles ?

 

 

 

Nemo : Ah, ça non ! J’ai dit tout ce que j’avais à dire, j’ai même la sensation d’en avoir déjà trop dit. Encore heureux que ça restera entre nous, puisque je ne suis qu’un non-invité. Bon, je suppose que je devrais trouver quelque chose de flatteur à ajouter sur vous, votre galerie, votre revue, mais, franchement, je ne trouve rien. Ça ne m’intéresse pas. Que voulez-vous, je ne suis que Nemo…  Ah, attendez un peu ! Voilà que jeme souviens d’une poésie que j’ai apprise à l’école primaire. Peut-être que vous pourriez la publier dans les engrenages de votre revue… Comment ça allait encore ? Ah oui, ça me revient. Mais ne me demandez pas de qui c’est, je n’en sais rien !

 

La voici :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mon petit chat (1)


 J'ai un petit chat ,
Petit comme ça.
Je l'appelle Orange.

Je ne sais pas pourquoi
Jamais il ne mange
Ni souris ni rat.

C'est un chat étrange
Aimant le nougat
Et le chocolat.

Mais c'est pour cela ,
Dit tante Solange ,
Qu'il ne grandit pas !

 

Maurice Carême, NDLR.