Je interdit ou Bécassine au pays des egos.
Il paraît que tout le monde en a un, surtout les poètes et les artistes... Enfin, on lit ça partout.
407000 références sur Google en français ... c’est donc dans l’air du temps.
De quoi je vous cause, moi, là ?
Ben de l’ego pardi , dans sa version pour créateurs , « surdimensionné » qu’ils disent tous.
En plus ça a l’air d’être grave : quasi une pandémie, à nous faire oublier tous les « hache hein nain nain » passés et futurs , avec en sus un côté casus belli : « ôte-toi de mon ego ... que le mien puisse étendre ses jambes ..un peu , non mais. ».. Dans un monde où on tue parfois pour un regard en biais...ces egos ombrageux semblaient à ménager.
Alors je me suis demandé, moi, ce que ça pouvait bien être un ego., déjà parce je vous l’avoue entre le je le moi le surmoi et le ça , je m’y perds un peu .dans ma géo-ego,-graphie personnelle. Et si par hasard moi aussi j’en avais un de surdimensionné, il vaudrait mieux que le sache pour ne pas empiéter sur la zone égogène de quelqu’un d’autre que mon hypertrophie dérangerait.
-Allez go, me dis-je comme ça toute seule, comme une grande, tout de go, si j’ose dire. et sans prendre d’emblée l’avis de personne estimant que je suis bien assez grande « moi,-je » pour avoir une idée de la chose et de sa dimension.
Dans ce jeu de l’ego, je partais solitaire. Comme mon ego est lent, l’envol fut difficile.
En fermant les yeux là, dans mon quant à moi, je ne voyais qu’une chose. Le petit personnage des comptines anglaises enfantines nommé Humpty Dumpty , cette forme ovoïde habillé d’un costume , coiffé d’un haut de forme et qui semblait fort se satisfaire de ce qu’elle était .Et finissait par se fracasser du haut du mur où elle s’était hissée à grand peine. J’avais bien perçu quelque part, qu’au « jeu du je » , cette petite créature-là en savait un bon bout , le tout est de savoir lequel.
Ça tournait un peu court. Je consultais mes proches.
« Arrête de nous faire scier ! » me dire abruptement quelques amis branchés occupés à manier leur ego-in dans leur in-ovations.
Je continuais mon ego-graphie en autodidacte.
« C’est quand on ne pense qu’à soi » me dit-on : ça ne me semblait pas être un de mes symptômes dominants
« C’est quand on parle de soi au lieu de dénoncer les misères du monde » ; là, j’avoue, je me sentais un peu visée, les misères du monde j’aime pas trop gloser dessus, je préfère quand je puis nettoyer un peu à ma porte et portée…
« C’est quand on regarde trop son nombril » affirma l’autre. Pas de danger, le mien je sais même plus où il est, et si je devais le mesurer pour voir s’il ne me fait pas à l’envers le coup de la peau de chagrin, j’aurais bien de la peine.
« C’est quand on rapporte tout à soi » , là je me dis, je suis dans le rouge, c’est bien évidemment un de mes travers essentiels. Bien sûr que je compare à ce que je ressens, pense et crois tout ce que les autres me disent. C’est pas bien certes, mais j’ai pas trouvé la porte de sortie qui me permettrait de m’abstraire de la glu de ma petite personne. Je ne sais pas vivre à côté de moi. Faudra peut-être que je fasse un stage . A l’étranger, de préférence.
.Les lexiqu-ego-graphes ne m’ont pas aidée non plus .Il y avait, selon eux, l’ego des philosophes et celui des psychanalystes et ça n’avait vraiment pas l’air d’être le même. De quoi s’emmêler sans objet dans le sujet. Et plus, ils n’étaient pas tous d’accord entre eux...sauf pour dire que c’est impossible à voir et à situer, que ça change tout le temps et que même on peut en avoir plusieurs (alors s’ils sont tous surdimensionnés, il doit y avoir surpopulation au pays des egos)
J’étais bien avancée. Comment aurais-je pu savoir si j’en avais un moi aussi et le mesurer, si ces réservoirs de science habituels et rassurants que sont Larousse et autres Robert faisaient dans la dérobade, du genre « c’est pas moi, c’est l’autre... »
- Soit, me dis-je, je vais aller interroger nos bons auteurs, il faut bien que je tartine ici un peu ce qui me reste de culture livresque. De plus, comme ce sont des grands avérés et estampillés, pour la surdimension, ils pourront sans doute m’éclairer.
« Le Moi est haïssable » m’a vociféré à la figure Pascal que je troublais dans ses pensées.
« J’ai emprunté de moi la matière de mon livre » conciliait Montaigne, essayant de me rassurer.
« Cogito ego sum » raisonnait méthodiquement Descartes , qui semblait tout à coup manquer d’air.
« Il faut cultiver son jardin , assura candidement Voltaire, sinon tu prends que des râteaux ! »
« La connaissance d’autrui est science, celle de soi intelligence » marmotta un vieux chinois qui passait par là .
« Va ranger ta chambre ! »» dit ma mère et ne demandez pas ce qu’elle fait là.
De toutes façons « je est un autre » m’a jeté , désinvolte, le jeune Arthur, au passage et en coup de vent.
- Mais bon sang me dis-je, c’est bien sûr, il a raison le bougre et me tire du mauvais pas où je me suis fourrée toute seule . arrêtons-là ma légorrhée. Si « je est un autre « » il peut bien être ce qu’il veut, se mettre où il veut et prendre toute la place qu’il veut . Les autres, eux, nous, vous, moi, le monde .. ne me dérangent jamais... Quelle différence ? et si pas de différence tous les egos sont donc égaux. Pour moi.
Jacqueline Fischer
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