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Lèse-Art Re-Mue

RE-MUE revue littéraire des lézards en mutation permanente.

Chaque mois, RE-MUE donne la parole à un nouvel invité

  N °2

 

 

Depuis l’été 2006, Jean-Marc Riquier  (http://pagesperso-orange.fr/jean-marc.riquier/) et Jo(siane) Hubert (http://johub.blogspot.com/) animent de concert des stages d’écriture créative à l’Abbaye de Floreffe,
Ces stages résidentiels, de trois ou quatre jours, qui se déroulent traditionnellement pendant la deuxième quinzaine de juillet, rassemblent des personnes venues d’horizons divers pour vivre l’expérience d’une écriture créative partagée.
Les animateurs proposent un thème, des dispositifs, qui stimulent en chacun l’envie, le besoin d’écrire.
Certain(e)s participant(e)s nous ont confié quelques-uns de leurs textes, écrits lors des derniers stages de l’été 2009, dont le thème général était « La liberté ». Nous vous présentons ces écrits tels quels.
***
Ceux qui voudraient nous rejoindre pour le stage de l’année prochaine peuvent obtenir tous les renseignements en adressant un courriel à cette adresse : enaisoj@live.be

 

QUELQUES TEXTES.

 

 

« Je » meurs(meurt)  et renais (renaît)……………."je" est un autre..

 

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En son âme, il fait froid, je vous le dis ! Elle a larmes mûres prêtes à déverser.
            Il gèle à pierre fendre, les larmes sont dures ! Il gèle à Pierre pendre !
            Pierre… ce meunier si beau ! Ce Bélier si sot ! Ascendant cancer, comme celui qui la ronge depuis qu’elle l’a rencontré ; celui dont elle sonde la versatilité et  qu’elle appelle « Amour ! »
            Amour ? Affliction, affectation, oui !
            Qui a dit que c’est au cœur de la meule que le morceau est le plus tendre ? Est-ce au cœur de ta meule, Pierre, que bat le tendre de ton cœur ?
            Non, non, point de douceur au moulin de son cœur !
            Pauvre d’elle. Pauvre Balance que ton silence de pierre agresse plus sûrement que six lances de fer. Dans quel combat l’as-tu traînée? Et c’est bien là que le bât blesse : à tes joutes, elle n’a point été entraînée et...elle s’affaisse.
            Elle a arrêté ses lamentations depuis qu’en voyage, en Suisse, elle a pris Denis pour amant à Sion.
            Depuis, ils sillonnent les vergers pour faire les vendanges de l’Amour. Dans leur corne d’abondance, ils réunissent les fruits les plus juteux  en jetant toutefois  les pommes de discorde et les pépins de tout bord, même quand il pleut. Ils s’accordent et en cordée, gravissent le Mont Blanc vers les sommets du septième ciel, vers les voluptés du septième miel.
            Est-ce au cœur de la meule que le morceau est le plus tendre ? Elle n’en a cure ! Ne se pose plus la question, n’en fait plus tout un fromage puisqu’en Denis, elle a trouvé son mage.
            Pierre en prendra-t-il ombrage ?  Tant pis pour lui, cœur d’artichaut,  si sot, trop chaud!
A présent, c’est Denis, qui, par ses tendres hommages, a emporté d’elle, tous les suffrages.


Marianne Bougard – Floreffe 2009.    

 

 

« Etre libre, c'est pouvoir faire ce que l'on a choisi »        
 St Augustin

 

Claire et ses démons.
            Claire se tient immobile, elle n’ose bouger. " Ils" sont là … Elle le sent ! Elle les entend ! Dans le noir de sa salle de bain, c’est à peine si elle ose respirer. Ses yeux sont ouverts, exorbités par l’angoisse.
« -Ils vont me tuer, m’étrangler, m’égorger !... Ils veulent mes bijoux, mon argent mais ils n’auront rien ! Je ne donnerai pas le code du coffre ! Jamais, même sous la torture…. » Et rien qu’à l’évocation des supplices, sa peur se décuple et ouvre un gouffre au fond de ses entrailles.
            Claire a 80 ans. Pharmacienne de son état, elle vit une retraite choyée dans une belle villa en plain-pied de la banlieue bruxelloise. Elle a connu les années d’or de sa profession. Des tableaux de maître aux petites cuillères en argent, le luxe est présent partout autour d’elle. De quoi attiser bien des convoitises, car au fil des voyages et des héritages, sa maison est devenue un véritable musée qu’elle habite avec pour seul compagnon, un labrador chocolat prénommé Thorgal.
            Depuis quelques semaines, quelques mois, même, rien ne va plus ! On est venu dans son verger ! On a tout volé, cerises, mirabelles, tout ! Point de confiture cette année ! Et puis, on a cassé la barrière et tous les matins, quelqu’un marche sur le gravier de l’allée ! Claire l’entend bien ! Elle n’ouvre plus ses volets, ne répond plus au téléphone... De toute façon, ses enfants ne l’appellent pas si souvent et leur numéro s’affiche ; de plus, ils ne croient pas en ses « bêtises » comme ils disent !
            Que s’imaginent-ils ? Elle n’est pas folle tout de même ! Elle sait, elle sent que le danger est là, partout. Elle manque d’air et le doigt serré dans le collier, elle tient contre sa jambe le chien qui tremble autant que sa maîtresse, par empathie, sans doute, diraient ses enfants. Non ! Elle, elle sait bien qu’il a senti les rôdeurs. Une douleur insidieuse, répétitive pointe son épieu dans sa poitrine puis lancine dans son bras gauche. Elle sent que si quelqu’un entre dans la maison, là, maintenant ; son cœur va lâcher, c’est sûr !
            Là, le bruit se précise... des pas…une clé est introduite dans la serrure !
            « Ils se sont équipés d’un passe ! Mon Dieu ! et Thorgal, le traître, qui jappe d’un air content ! Chut ! Tu vas nous faire repérer !chuuut ! »
            « Maman, où es-tu ? Pourquoi ne pas laisser entrer le soleil ? Il fait si beau ! »
            Ce n’est que Virginie, fausse alerte !  Les battements  ralentissent,  la respiration redevient régulière… Elle tourne le commutateur et la lumière blafarde éclaire un visage pâle et échevelé qu’elle ne reconnaît pas dans le miroir. Sa fille passe presque quotidiennement pour voir si tout va bien mais « ils » attendent toujours son départ pour se manifester.
            « Maman, voyons, il faut te coiffer et faire ta toilette ! C’est quoi cette négligence ! Je ne te reconnais plus ! Allez, bouge-toi ! On va aller faire un tour au verger, histoire de voir si les épouvantails ont chassé les merles, d’accord ? »
            « Les merles, ils ont bon dos les merles ! Je te dis que c’est des voleurs, d’ailleurs… »
            « On en a déjà discuté, je t’ai montré que personne n’était entré et que la barrière, c’est de vieillesse qu’elle s’est cassée ! Cesse ces bêtises, ma p’tit’ maman ! Tu te fais du mal pour rien, je t’assure »
            Claire soupire, elle sait bien que c’est autre chose. Ces rodeurs, ces voix qu’elle entend partout dès qu’elle est seule, elle sait que c’est pour lui prendre tous ses trésors. Mais si elle insiste trop,  ils vont encore « la placer  pour son bien », comme ils disent ! Un séjour d’un mois  l’été dernier lui a suffi pour comprendre !
            « Pour son bien » Et ils l’obligeront à prendre tous ses médicaments, même ceux dont elle n’a pas besoin ! Et les autres, là, ils en profiteront pour venir tout chercher en son absence ! Et Thorgal, au refuge, lui aussi ! Alors là, non ! Quitte à mourir là, d’un coup d’angoisse, d’un seul, elle restera ! Là ! Dans sa maison ! Et tous les fantômes qui la visitent chaque jour depuis des années, n’ont qu’à bien se tenir ! Elle a vu un film, à la télé, « Ghostbuster » que ça s’appelle,… Il y a un moyen de les chasser ! Elle va chercher le numéro  dans le bottin téléphonique. Ça s’écrit comment « ghost », à votre avis ?

 

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Marianne Bougard – Floreffe 2009.

 

 

Cartographie.


Il fait à peine jour lorsque Jean-Pierre se réveille en sursaut. Il dort mal ces derniers temps ; en fait, il ne désire qu’une chose, sortir le plus rapidement possible de la Villa Lugubre dans laquelle il a dû séjourner malgré lui.
       Cette privation de liberté a été une expérience douloureuse mais il commence à apercevoir le bout du tunnel. Encore huit jours avant de s’extirper de l’ambiance sordide d’un bâtiment froid, inconfortable, humide mais surtout échapper à l’horrible solitude vécue à l’écart d’une vie dite « normale ».
       « Normale », pour lui, ça veut dire se lever à l’heure qu’il décide (qu’il souhaite serait mieux, mais il se rend compte que s’assumer librement entraîne néanmoins certaines contraintes).
      « Normale », ça veut dire, avoir une activité intéressante et lucrative, il faut bien gagner sa croûte, tout de même !
      « Normale », ça veut dire, s’entourer d’amour auprès d’une famille, parents, enfants, amis ou simplement copains.
      « Normale », ça veut dire, … Ses pensées tourbillonnent dans sa tête tant il y aurait à dire…
       Courageusement, il va vivre ses derniers jours de captivité en construisant mentalement tout ce qu’il fera dès sa sortie.
       Ouf ! Le grand jour est arrivé ! Jean-Pierre longe le Mur des Lamentations. Un peu plus loin, il grimpera  L’Escalier des Plaisirs (Ah ! le terme est déjà prometteur !) ; suivra le Chemin du Réconfort pour se faufiler dans le Bosquet des Amants (Oh ! Merveille, cette fois !) et rejoindra la Chapelle du Pardon où son frère Marc l’attend.
       Il se gardera bien de descendre  l’Escalier des Renégats. A présent il se dit : « Je veux monter, m’élever dans cette nouvelle vie ! ».
       Tout en cheminant il entrevoit clairement sa nouvelle vie de liberté. Elle a été tracée virtuellement depuis longtemps.
       Lorsqu’il aperçoit Marc, il l’étreint et s’écrie : « Vive la liberté ! Marc, je t’aime ! »

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Claudine Duchemin – Floreffe 2009.

 

 

 

Petit robot- BEAU

 Tu trouveras ton accomplissement-MENT
Sans mettre la pression-SILLON
Avec beaucoup de motivations.
Au royaume de l’épanouissement-MENT
Sous les regards-GARE
Des porteurs de vérité-HERITEE
Quand tu seras enfin malléable-STABLE
Les carcans seront verrouillés-OUILLE
Résiste-résiste, montre que tu existes
Ne te laisse pas piéger
Découvre le pays d’utopie-TOUPIE
Chacun est face à ses peurs-LEURRES
Tu y es, tu es prêt-PRES
De la porte de tes rêves-EVE
                              

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 Liliane Joseph - Floreffe 2009

 

 

 

C’est l’histoire d’une femme…

Femme, fille, sœur, épouse et mère,
Femme en fleur, ton époux, tu chériras.
Mère, maman, tes enfants, tu élèveras.
Et quand tu auras fait tout cela,
Au tombeau tu marcheras.

C’est l’histoire d’une fille qui rêvait d’un ailleurs, d’autres rives.
Par les détours retors d’héritages inconscients, elle s’était enfermée.
Elle avait perdu les clefs de sa prison.  De prises de tête en guérisseur d’âmes en peine, elle avait suivi les chemins difficiles de ses dédales intérieurs.
C’est l’histoire d’une fille au cœur trop grand pour sa poitrine étroite, aux pieds trop lourds pour prendre son envol.
Des nuages dans la tête et les mains grandes ouvertes, elle cherchait un sauveur.
Un est venu, qui ne savait parler. Il lui offrit l’hospitalité, le gîte et le couvert. Il devint son maître.
Esclave sans chaînes, elle voulait partir et n’y arrivait pas.
Un jour, elle franchit le pas, la porte était ouverte.
Enfin, la liberté, la liberté chérie, plus d’entrave, plus de lien.
Elle avait oublié que les pires liens sont ceux qu’on noue soi-même.
Elle en défit quelques-uns, elle réussit parfois.
Ce fut un temps pénible de peurs et de larmes, de colère et de rage.
C’est l’histoire d’une femme qui ne savait quel chemin prendre. Elle était échouée, seule, à la dérive.
Elle cherchait le regard des autres, la permission de vivre. Elle tournait en rond. Tout la ramenait à elle-même.
Un jour, enfin, elle eut le courage : se regarder dans le miroir du temps.
Elle scruta son image, longtemps. Ce qu’elle vit l’effraya. Puis elle s’habitua, arriva même à se trouver plaisante.

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Liliane Joseph -  Floreffe 2009


 

 

Une larme a coulé

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J'ai gardé en mémoire le jour où ils m'ont murée,
d'horizontale je suis devenue verticale.
Ils l'ont arraché de ma poitrine, lui, l'axe de ma vie
celui avec qui je partageais ce lit.
Une larme a coulé le long de la paroi,
cris long et douloureux du déchirement.
Mon âme divague ne sachant quel chemin prendre.
A droite, cette grille tyrannique me semble infranchissable.
Et pourtant, combien j'aurais aimé remonter le temps et l'espace
de ces piliers célestes, de cette voûte étoilée qui me sont inaccessibles.
Je prends le chemin du coeur et ruisselle sur ce sol, rouge comme ma blessure.
Je me laisse guider jusqu'à cette lumière vacillante,
je m'approche désormais de ce foyer rougeoyant.
La chaleur et l'engourdissement me gagnent et je me mets à rêver.
Légère, je quitterai l'attraction terrestre,
je parviendrai sur la voûte et m'évaderai du dedans
pour accéder au dehors par ce trou des fumées déconcertantes.
Fumée déconcertante ou vapeur d'eau libérée?


Valérie Delmotte - Floreffe 2009

 

 

 

Liberté-Libération-être libre

 

            Ce matin-là, Arnaud s’était réveillé avec une sensation étrange. Il avait allumé, comme d’habitude sa lampe de chevet, tâtonné pour trouver sa montre. Mal réveillé sans doute, il regardait le cadran sans pouvoir déchiffrer l’heure. Il se demanda pourquoi. Sa vision n’était pas floue, elle n’était pas vraiment double, mais c’était comme si les aiguilles et les chiffres indiquaient deux horaires à la fois.
            La lampe de chevet qu’il avait éteinte la veille et qui avait dormi sous son satin vert uni, arborait à présent des rayures bleu-canard.
            Il se frotta les yeux, testa avec un œil, puis l’autre, pas vraiment inquiet, car il se sentait encore dans les limbes du sommeil.
Il fallait pourtant se rendre à l’évidence. Son œil droit et son œil gauche ne lui restituaient plus ce qu’on nomme réalité de la même façon. Tout se passait comme si chacun des deux voulait vivre sa propre vie, sa propre voie, suivre sa propre vue.
Tandis que l’œil droit, classiquement, lui restituait le monde tel qu’il avait toujours cru l’appréhender, le gauche lui apportait l’embellissement, la fioriture, la fantaisie.
            Sur la joue de Marthe sa compagne, il prenait un malin plaisir à peindre ici une mouche, mais là, il creusait aussi une ride.
Sur le mur blanc et sobre qu’il avait choisi pour son appartement, l’organe dissident élaborait des fresques colorées et abstraites. Forêts de signes ou gribouillis.
            Et quand il regardait de tous ses yeux, ce qui n’en fait jais que deux, les visions se superposaient, se mélangeaient, produisant un univers en double lecture, comme on dit parfois des œuvres d’art. Il y avait le dessus avec le dessous, visibles tout ensemble, et le haut qui tentait de se rabaisser et le bas de s’élever vers d’inaccessibles sommets, et la droite qui voulait glisser sous la gauche et réciproquement dans une sorte de lutte sournoise et ambiguë de frères ennemis.
            Toute la journée et les jours qui suivirent, il prit le parti de se promener  avec l’œil gauche voilé, prétextant un accident. Pourtant, ce dont il était alors privé, cette liberté qu’avait pris cette petite part de lui-même de voir le monde de manière autonome, lui manquait.           Perdues les vibrations, les nuances, les traits surajoutés, perdu ce brouillage qui semblait tout à coup plus réel –en tout cas infiniment plus délectable- que l’insipide banalité des choses restituées implacablement, invariablement par l’œil droit.
            La sagesse aurait voulu qu’il consultât un ophtalmologue, mais il retardait chaque jour la prise de rendez-vous. Quelque chose lui soufflait que, précisément, ça n’avait rien à voir.
Il s’y résigna toutefois, pour ne pas inquiéter son entourage. L’homme de l’art examina Arnaud, lui fit passer une batterie de tests et jusqu’à une IRM du cerveau
            Au terme de quoi, s’avouant   vaincu, il déclara à son patient :
— Que voulez-vous, cher monsieur. C’est juste une affaire de point de vue.

 

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Jacqueline Fischer – Floreffe 2009

 

 

 

Iles et rivages

            D’innombrables sollicitations venaient sans cesse interférer entre ses désirs et leurs réalisations. C’était sans aucun doute le lot commun de la plupart des hommes, mais son histoire à lui, étrange personnage, devenait de jour en jour plus singulière. Il avait beau s’évertuer à la prévoyance et tâcher de s’octroyer la complicité des événements, rien n’y faisait .Il se trouvait contraint à l’atermoiement, au recul de ses projet vers, des horizons lointains où son bonheur s’évanouissait dans une sorte de mythe impossible à atteindre.
            Parfois, l’espoir d’un imperceptible progrès, lui venait, ténu. Il espérait qu’il pourrait enfin se dégager de cet esclavage et atteindre l’ivresse des accomplissements sereins. Ça commençait toujours par un désir de se révolter, s’ancrant  même sa chair, ravivant ses prétentions. il en devenait de plus en plus pâle et reconstruisait obstinément les échafaudages de ses espoirs. Mais, au terme de chaque entreprise et alors qu’il pensait enfon toucher au but, toujours quelque événement venait l’enclore dans le désert de l’échec, plus exactement de l’imperfection.
« Seule la vie achève et s’achève » se disait-il parfois en manière de consolation, mais il se sentait chaque jour davantage banni de l’existence à laquelle il aspirait, assigné à résidence dans une région dont les sources se tarissaient, dès qu’il voulait s’y désaltérer.
Un jour, il comprit qu’il avait tort d’envisager qu’un seul de ses rêves puisse vraiment et totalement s’accomplir et que si cela-même se produisait, il ne lui resterait plus guère de raison de vivre, ou qu’il lui faudrait en créer de nouvelles, encore et toujours.
            Il se mit à faire pour le plaisir de faire et même à ne rien faire du tout, à ne plus songer à tout ce qui avait jusqu’alors gâché sa vie. Finies les projections dans l’avenir, les déceptions, les éternelles remises en cause.
            Ce fut alors qu’il commença non pas à vivre mais à naître au monde.

 

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Jacqueline Fischer – Floreffe 2009.

 

 

 

Cartographie de la liberté.


            C’était dans le très vieux temps, à dire vrai, il ne savait combien de jours, mois, années.
            Sa mémoire s’était diluée dans les rets de l’arachnide. Sa toile s’étendait jusqu’à des faubourgs si lointains que pour fuir les ruines pestilentielles du souvenir et de la conscience il n’avait d’autres recours que de rêver à des lieux fous, inexistants. Peut-être.
Et tandis qu’il était assis  sur les dalles de la tour du château de l’araignée, qui jouxtait, il espérait en lui le miroitement de la cascade du Cœur.
            Retrouver un instant ce lieu chaud des étreintes,  l’odeur du café le matin, la viande grillée à midi. Et vers le soir ce serait les tilleuls du boulevard des désirs dont les effluves remonteraient jusqu’à lui.
            Il était toujours là, pourtant, dans son impuissante puissance, le corps assigné à ce lieu, mais son esprit à présent libre.
            A quoi bon faire l’effort d’escalader les murailles  du manoir de l’inquiétude, de traverser des déserts, de cheminer par la porte de l’enfer glacé le long de contreforts hostiles, de tirer la sonnette de la villa lugubre, de se perdre dans les méandres figés  du fleuve de l’exil et de l’oubli.
L’évasion fictive pouvait un temps encore lui suffire.
Restait l’eau, pourtant, l’eau chantante et tendre de la cascade, dont il saisissait juste le bruit familier par le soupirail de son cachot. Le miroitement pressenti l’attirait. Invinciblement. Il n’était plus là, déjà.son cœur et ses cascades étaient à lui, en lui.
            Toutes les portes vers l’évasion s’ouvrent aussi vers l’intérieur.

 

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Jacqueline Fischer – Floreffe 2009.

 

 

 

Autopsie - 1

            Le privilège de l’innocence, c’était de plonger dans les yeux noirs d’Hortense, accoudée sur le comptoir, d’y contempler toute l’obscurité de la nuit, toute la vacuité tendre d’une âme engluée dans les nécessités quotidiennes.
            Ou s’accrocher un peu à l’écharpe froissée d’Arthur, à sa casquette enfoncée sur son profil  déjà épuisé, avant même de mettre le pied sur le tapis roulant de sa journée.
            Possible aussi de penser à la rue, presque invisible derrière les fenêtres embuées et de  sentir, derrière les vitres froides, le glissement soyeux des automobiles  sur le bitume imbibé de pluie.
            Voir, sentir et entendre tout ce sur quoi d’ordinaire, la fatigue pose son bandeau de poussière noire.
            Voir autrement, sinon autre chose. S’évader dans la lumière diffuse de l’aube, s’arrêter sur la trace de pluie contre la vitre.
            Voir vraiment tous ce que les autres ne  verraient pas ; s’inventer des pays avec les capsules de bière et leurs minuscules cartographies, parcourir comme un désert inviolé l’espace entre les tables et les chaises, les chaises et la rue, la rue et les vitres. Faire du plafond et de l’ampoule clignotante la voûte de cathédrale d’un ciel étoilé. Chevaucher ses rêves, dans la marge de cette journée comme les autres et y ouvrir des perspectives jusqu’alors ignorées.
            Percer le jour à jour.
            Il faisait clair, pourtant, dans les yeux d’Hortense, il y faisait bon, il y faisait chaud, même si ses jours sentaient le rance, le rabougri et l’étriqué.


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Jacqueline Fischer – Floreffe 2009

 

 

 

Autopsie  - 2
Echo-errance


Qu’expose-t-on dans ces expositions ?
Des positions d’installations ?
Des clous, des verrous, des ferrailles 
Qui me rendent passe-muraille ?

Quelle pensée perce le soupirail ?
De thés d’encens en thés rieurs
Trouverais-je au tertre d’hier
Un promontoire d’aujourd’hui
Lorsque le présent m’assoupit ?

Est ce que c’est ouvert le dimanche ?

Les cadeaux, c’est pas un cas d’eau, une cascade de mots fous envahit mon style, oh !

J’ai tout vu derrière un grillage, sans vraiment m’en apercevoir.

Pourquoi, dit-on, tant de questions ?

Sur le quai des hésitations je pose avec vous mes bagages.

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Jacqueline Fischer – Floreffe 2009.

 

 

 

Le monstre intérieur


            Dès son enfance Pierre fut hanté par le Peurypierre. Cet animal sournois gâchait ses plus simples joies, l’empêchait de goûter au présent.
Il avait toujours peur que « ça » se passe mal. Quoi, « ça » ?
            Mais à peu près tout.
             Grandissant, il pensa guérir, mais plus le nombre de ses activités augmentait, plus le Peurypierre  lui rongeait la chair.
            Dans sa famille et son travail où il n’était jamais sûr de bien faire, même quand on lui prodiguait des encouragements.
            Dans sa vie quotidienne où il n’entreprenait jamais rien sans avoir tout bien pesé et calculé pour tenter de défier le mauvais sort. Du moins l’espérait-il car bien sûr, au dernier moment, le monstre familier lui soufflait à l’oreille : « Moi, à ta place, j’irais pas, on ne sait jamais… » ou bien encore « Il y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes ».
             Et quand il en parlait aux autres, essayait de leur faire partager ses doutes, ses inquiétudes, ses failles,  on lui disait de prendre confiance en lui, de se moquer de l’opinion des autres, on lui proposait mille remèdes infaillibles qu’il testait aussitôt avec un espoir toujours renouvelé. En vain.
Derrière le discours des autres il entendait le même refrain :
            « Sois comme je suis, puisque tout me réussit, je suis si parfait, moi,  et tout ira bien pour toi. »
            Un jour dans un bar, on ne sait pourquoi, il s’assit face à une vieille dame qui portait un chapeau bizarre et dont le comportement ne l’était pas moins. Elle invitait à partager sa table et son temps, à se soulager de ses angoisses et tiraillements, et ce, par la seule grâce de son regard  chaleureux en attente de l’Autre. De ses yeux, sentinelles de bienveillance.
            Elle l’écouta.
            Et à la fin elle dit ces mots surprenants d’évidence :
            — Accepte-toi tel que tu es et les autres verront de toi l’image que tu leur donnes.


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 Jacqueline Fischer – Floreffe 2009

 

 

 

Glimace.


La glimace hésitait. Arrêtée sous le Portail de la Tentation, elle observait les chemins qui s’ouvraient devant elle : tant de routes possibles.
Elle pouvait aussi faire marche arrière, c’était tentant. Les routes vers demain mènent aussi vers l’inconnu. Ce qui se trouvait derrière, elle le connaissait et, bien que ce fût horrible, c’était rassurant… Mais elle avait eu tant de difficultés à sortir du Clos des Oubliettes… Le clos si bien nommé où elle avait tenté d’oublier qu’on l’avait oubliée là, abandonnée par des parents qui vous pondent puis partent baver ailleurs ou qui croisent malencontreusement le chemin du hérisson ; celui qui a autant de piquants dans la bouche que sur le dos et vous transforme en sirop pour la toux, aussi vite avalé.
La glimace avait dû creuser sous les lourds pavés du destin, se hisser au flanc du tunnel vertical d’une adolescence difficile…
Puis, elle avait aperçu les lumières délicieusement affolantes du Portail de la Tentation. Elle n’allait tout de même pas faire demi-tour, repasser sur sa bave déjà sèche pour retrouver la fraîcheur obscure d’un tunnel cependant lugubre où elle risquait de s’enliser pour toujours.
A l’ombre du portail, elle observait les chemins : le caillouteux en en plein soleil promettait l’oasis ombragée, le tout étroit, pavé, menait au champ de salades, la sente aux délicieux pissenlits ne menait nulle part ; des milliers de chemins plus tentants les uns que les autres…
Elle sentit venir l’assoupissement, l’envie de rester sur place plutôt que d’oser ces inconnus prometteurs mais sûrement remplis d’obstacles et de dangers… Et elle pensait alors au redoutable hérisson qui pouvait être partout… et même sous le portail.
Allons, dit-elle, la mort viendra un jour, que je marche ou que je dorme. Elle plongea baveusement dans sa mémoire, à la recherche de ses rêves. Elle retrouva l’image d’une prairie fraîche et douce, aux coquelicots rouges, aux bleuets bleus, aux fraises odorantes… D’où venait cette image ? Allez savoir ! Qui sait ce que contiennent nos gènes ?
Aucun panneau n’indiquait « prairie fraîche ». Alors, pesamment, elle prit la route qui indiquait « Chemin de l’Espoir ». Elle laissa un peu de peur, pour se sentir moins lourde. Elle abandonna un filet de regret. Elle savoura de grandes goulées d’eau dans la fontaine du portail et glissa doucement sur sa bave qu’elle découvrit, étonnée, telle une rivière humide de liberté.


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Bernadette Messe – Floreffe 2009.

 

 

 

Sac et ressac
Vagues et tempêtes
Ecume au clair de lune
Qui résonne sur l’enclume
D’un monde vacillant
Métamorphose d’un monde putrescent
Qui éclate en poussées nomades
En flagrant délit de recherche d’un trou noir
Résidence temporaire de l’amoralisme des pouvoirs

J’entends le bruit de ce monde filant à sa perte
La comète de la nuit des temps
Au firmament incandescent
Explore l’univers à travers la Voie Lactée et galaxies
Dans son périple elle est prête à affronter toutes les péripéties
Pour détecter le Phénix qui renaîtra de ses cendres

Le monde ne peut plus attendre
Il est urgent d’édifier le Vaisseau du renouveau
Où tous les éléments seront au repos
La terre en jachère
Le feu en couvaison
Le vent apaisé de son souffle
Et le ciel toujours élément jusqu’au septième.

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Marianne Dedecker – Floreffe 2009.

 

 

 

Licorne.

C’est l’histoire de ma licorne intérieure. Lorsque je fis sa connaissance, j’étais en quatrième primaire. Je fus très étonnée de découvrir ce trésor en moi. Il fallait faire connaissance. Notre collaboration était en cours de gestation.
Ni l’école ni mes parents ne m’avaient parlé d’une vie intérieure.
Je remarquai la corne minuscule sortant du front de la licorne. Notre complicité grandissait de jor en jour. Elle m’expliquait les mots : liberté, choix, vibrations, évolution. Dès que j’avais compris le sens du mot, la corne s’allongeait. Lorsque j’eus bien intégré ses leçons, la licorne m’emmena dans les rêves. J’y découvris le monde, gravissant des montagnes, traversant les océans, rencontrant des gens étranges.
En classe, un missionnaire à la longue barbe blanche nous avait montré des photos d’enfants noirs. Ces nègres, disait-il, ne connaissaient même pas Jésus et – horreur ! – ils vivaient tout nus. Grâce à Dieu, nous, les Belges, leur apportions la civilisation.
Ce que me montrait la licorne était bien différent. Elle m’enseignait que chacun a le droit de vivre selon ses coutumes et ses croyances, que personne n’a le droit d’asservir et d’enchaîner son prochain.
Lorsque la corne fut à sa longueur maximale, la licorne disparut.
Et moi, j’ai continué ma quête.


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Jacqueline Larose – Floreffe 2009.

 

 

 

Le prisonnier.


Longtemps, il avait nagé dans ma désespérance.
Longtemps, il n’avait vu le ciel qu’à travers les barreaux.
Longtemps, il s’était englué dans la douleur.
Longtemps, il avait tourné en rond dans le geôle de l’impuissance.
Mille fois, il avait répété « Je ne suis pas coupable. Je suis innocent… »
Mais qui avait accepté de l’entendre ? Qui l’avait écouté ?

Le soir, avant de s’endormir, il retrouvait les images de son enfance :
Le soleil couchant sur la toile indigo de l’infini du ciel,
Le murmure des vagues ruisselantes d’argent,
Les mouettes joyeuses qui dessinaient le signe de l’espérance infinie…
Les images qui l’aidaient à survivre.

Et puis il y eut un matin inondé de lumière.
La lourde porte s’ouvrait : « Vous avez été gracié. »

Figé devant le presque inespéré,
Muet aussi,
Ils rassembla ses quelques objets, suivit les gardiens qui lui ouvraient toutes les portes,
Franchit le seuil.

Il était libre.

Il reprit vie au-delà du porche de la désolation.
Il n’y avait plus de barreaux pour découper le ciel.
Ses pieds ne s’englueraient plus.
Il ne tournerait plus en rond.

Et il partit, droit devant lui.


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Josette Henin – Floreffe 2009.

 

 

 

 

La deuxième autopsie.


Le ciel est pardessus de soie :
peut-il prendre mes vices ?

L’idée a débusqué la livresque tigresse. Elle n’attendait qu’une parole de belle asymétrie pour ouvrir son œil vert. De son pas nonchalant, puissant et paresseux, elle dévoie l’herbe haute, roule sur le dos et offre aux regards son ventre blanc, avant de retomber sur les coussinets satinés de ses pattes. Elle avance en bâillant sous l’arbre au feuillage mouvant, à l’ombre ocellée et fugace.
Les mots, à son approche, s’affolent, se bousculent, se verbalisent imprudemment, sans rimes ni raisons, dédales d’îles las.
Cochemouche et coqueluche ricochent entre les rochers, l’engoulevent s’engoue, secoue l’océan et s’enroue en gloussant à gorge dégoupillée.
De bas en haut, à Bas-Oha, la Meuse refait sn lit et remonte son courant maudit.
Eh, corps, mets ta mort fausse au cercle de l’œil du brigand. Sans cou, fais rire les tricoteuses au pied levé de l’échafaud vermoulu de l’ivrogne, morne échafaud soudé au socle du pouvoir, dépenaillé, obscène.
Pinacle, je te hais ! Pour un papillon bleu, j’écrase mille cloportes, blattes, cafards ou immondes araignes l’une à l’autre enlacées en un ballet létal.
Périlleuse avancée sur l’estacade de l’oubli involontaire, redécouverte de paysages naguère familiers mais tombés peu à peu dans le piège fatal d’un coma dépassé.
La citadelle des mots cède sous mon emprise et se morcelle en syllabes de vent. Le silence s’empare des parures sonores et s’en fait un carrosse qui s’éloigne en grinçant. Surprise, la nature se réveille avant l’heure et la nuit, à son tour, recule, épouvantée.
Le thé rieur dissipe toute mélancolie, remède souverain pour les peines de cœur et les chagrins d’amour attardés dans les recoins obscurs des couloirs du désir. Du désir souverain en son château fragile.
Un corbeau plane bas et son croassement fait souche, couche et fait taire l’herbe folle qui commençait juste à gémir.
Sur un pareil émoi, je tire mon chapeau à tout qui va paraître dans l’eau-miroir du caniveau.

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Josiane Hubert – Floreffe 2009.

 

 

 

Mortes étoilées.


A cette heure avancée du jour, la lumière blanche affadit le visage de nos tyrans. Dans ce brouillard de poussière et de fumée, seuls sont visibles nos insignes jaunes cousus sur notre poitrine. Nous sommes arrivées par convois de Pologne ou d’Ukraine et offrons un spectacle immonde.
Les femmes que nous avons été, prévoyantes, ordonnées, aimantes sont devenues des esclaves. Nos membres décharnés ne nous permettent plus de soutenir ni notre corps ni notre esprit.
Victimes sans révolte, nous avançons pour la plus grande jouissance de nos geôliers vers la torture dont eux seuls détiennent les instruments les plus efficaces. Pour quelles raisons sommes-nous ici, dans l’ivresse du cahot orchestré par ces tortionnaires ?
Ils arrivent par vagues hurlantes, visages gras et poupins submergés par la volonté farouche de nous anéantir, de violer notre corps et notre âme, d’anéantir  nos espérances et nos droits. Des droits ? Mais lesquels puisque ce mot est banni depuis que nous sommes leurs captives.
ooo
Des centaines de baraques rectilignes peuplent notre environnement. Disloquées par des légions d’efforts quotidiens, corps avachis sur les grabats, nous entendons la nuit à travers nos sanglots et nos pleurs couler la source de notre enfance.
ooo
Broyées par l’horreur quotidienne, nous sommes anéanties. Mais qui connaîtra Treblinka ?


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Catherine Coiffier – Floreffe 2009

 

 

 

 

Obstacles et réticences.

Je n’aime pas écrire. J’ai décidé que je ne savais pas écrire. J’aime mieux tout ce qui est oral, même l’apprentissage d’une langue pour moi, c’est essentiellement entendre et parler.
Pourquoi je suis venue quand même ?
Soit pour me prouver que vraiment l’écriture n’est pas mon domaine, et ça va être dur de tenir trois jours.
Soit pour me prouver que finalement je suis un peu moins nulle que je ne le craignais.
Mais comme j’aime bien les rencontres, je plonge, et si je me noie, je compte sur des gens sympas pour me sauver de la noyade.


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Dounia Compagnon – Floreffe 2009

 

 

 

Liberté

Je rêve de partir
je reste
Je rêve de m’envoler
je suis clouée au sol
Je rêve d’être libre
j’ai peur d’être libre
je me crée des entraves
Je rêve de dunes dans le désert
je vis entre des murs de béton
Je rêve de danse et de mouvement
mon corps me lâche
ou plutôt m’attache
Je rêve de solitude
j’ai besoin de l’autre, des autres
Je rêve de tout faire
et il faut choisir
Je rêve de tout faire
et je me tais.

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Dounia Compagnon – Floreffe 2009

 

 

 

La séduction de la vieillesse réside dans sa fragilité et l’attente apparemment résignée de la mort, bizarrement mêlée à ce désir ambigu du cercueil à venir.
Cette ambiguïté est dévoilée à la fois par l’attitude de repli sur soi et par la patience et la peine contenues dans le regard.


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Dounia Compagnon – Floreffe 2009

 

 

 

Rive gauche, rive droite…

 

Les innombrables concessions que nous devons faire pour vivre me semblent de véritables profanations de notre moi, c’est une effraction dans notre être profond. La soumission aux valeurs sociales fait de nous, imperceptiblement mais sûrement, des victimes d’un esclavage d’autant plus insidieux qu’il n’est pas conscient. Nous sommes anesthésiés, alors que nous croyons vivre dans l’ivresse de la liberté.
Impossible de se révolter. Même la fille du roi n’a pas échappé à la sanction prévue pour tous : l’exil. Ce qui devait être une condamnation sans appel a pourtant permis à la princesse de devenir une héroïne de conte de fées : la douillette princesse au petit pois s’est joyeusement transformée en Robinson au contact d’une nature sauvage mais généreuse, bienveillante et libératrice. Merci papa !

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Dounia Compagnon – Floreffe 2009.

 

 

 

Hier, aujourd’hui, demain.

 

Hier j’errais d’un cercle d’indifférence à l’autre, d’un mur de silence au mur des lamentations, en proie à un désarroi qui me donnait envie de me jeter contre les grilles de l’enfer. Tout était sombre, gris et froid : le ciel, les murs, les gens.
            Aujourd’hui, après cette traversée du désert, j’espère des lendemains meilleurs. La roue des supplices se transformera en roue des désirs nouveaux, la glace de l’hiver fondra pour flamboyer en champs de feu, la marche au supplice deviendra une marche aux épices, loin, au soleil, passant du ru des rêves au rêve de l’escalier.
            J’avais franchi l’arcade de la liberté, en route pour ma propre libération.

 

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Dounia Compagnon – Floreffe 2009-10-11

 

 

 

Je meurs et renais ; je est un autre…

Alors là c’est la bière à Zina. Je a eu du mal à être moi, comment pourrait-il maintenant être un autre ? Il a eu du mal à vivre, et on lui demande de mourir.
Même si c’est pour renaître après, je dit non. Je refuse de me mettre à mort, fausse ou vraie.  
Mourir, fou rire, elle est pas belle la vie ? 

 

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Dounia Compagnon – Floreffe 2009

 

 

 

La lettre au monstre intérieur

            Cher monstre, monstre de chair,
Si tu savais à quel point tu me dégoûtes, peut-être aurais-tu honte d’exister.
            Je n’ai pas de mots pour décrire l’horreur, la terreur, la répugnance, la répulsion que tu m’inspires.
            Je pourrais trouver beau le foisonnement de tes tentacules, si je te regardais de très loin, ou comme dans un tableau de Jérôme Bosch. Mais rien que d’imaginer le moindre contact sur mon corps, je sens mon sang se figer et se glacer. Mon cœur bat tellement vite, à des intervalles si violemment rapprochés, que c ‘est comme s’il ne battait plus du tout. Et si je ferme les yeux, ce que j’imagine est pire, si c’est possible.
            Alors je te préviens, ta prochaine visite te sera fatale. C’est moi qui t’enfermerai, t’emprisonnerai, te congèlerai à un endroit d’où tu ne pourras jamais sortir, ni vivant, ni mort. Oubliée la bête. Maintenant, les tentacules, c’est moi.
            A bon entendeur salut !

Comment s’est-on débarrassé de son monstre intérieur ?

            Cher monstre,
            J’ai tout essayé, suivi les bons conseils des bons amis. Utiliser la tronçonneuse semblait le moyen le plus radical mais tu es comme les lézards : quand on coupe leur queue, elle repousse. La bombe ? Elle m’asphyxierait autant que toi. Nager ? Je risque de rencontrer tes semblables. Les bêta-bloquants ? Ça bloque et ça rend bête.
            Finalement j’ai mis des spots de lumière et des miroirs partout ; où que je regarde, c’est moi que je vois, tu n’as plus ta place.
            Appelle-moi Narcisse si tu veux. Sauve qui peut. Loin des yeux loin du cœur.

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Dounia Compagnon – Floreffe 2009

 

 

 

Obstacles et réticences

Ma mémoire est visuelle plus qu’orale. Ecrire est une façon pour moi de mémoriser les faits, les émotions, les idées, leurs relations et leurs enchaînements. Pour autant que je sache, j’aime écrire, donc.
Et je suis récidiviste, puisque c’est la seconde fois que je viens à Floreffe, malgré l’angoisse qui me tenaille les méninges : ai-je quelque chose à dire ? Et si oui, sera-ce lisible, ou audible ?
Improviser, de plus, me donne le vertige !
Cependant, parce qu’écrire est le propre de l’homme, je vais tenter de ciseler quelques mots dans la marqueterie du silence.

 

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Gilles Compagnon – Floreffe 2009

 

 

 

Liberté. C’est l’histoire d’un mec qui …

 

C’est l’histoire d’un mec – moi, en l’occurrence, qui a quelque chose à dire mais qui ne sais pas quoi… Partagé entre dire et me taire, déclarer ou faire découvrir, parler ou écouter, pourquoi donc écrire, me demandai-je ? Comme j’inspire et j’expire au souffle de la vie, me faudrait-il aussi m’exprimer, voire m’imprimer ?
Sans évoquer les grandes questions métaphysiques (comme « Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? »), si je choisissais simplement d’être moi, et d’écrire, malgré sa banalité (car « tout est dit »), ce qui m’anime et qui m’attire ?
Je suis attiré par la beauté comme un papillon par la lumière. La beauté que je découvre en mettant mes pas dans les pas des rares écrivains, poètes, ou philosophes que ma curiosité a réussi à accueillir.

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Gilles Compagnon – Floreffe 2009.

 

 

 

Rive gauche, rive droite…

Après une journée de travail passée à l’éclairage artificiel, je peux enfin goûter la bonne lumière du jour tombant, le goûter comme un velouté d’asperge, et respirer à pleine poitrine l’air du soir.
Le spectacle de la nature apprêtée par la main de l’homme est un bonheur simple qui me procure toujours une ivresse bienfaisante.
Entendre couler l’eau des sources, laisser flâner son regard aux volutes des fumées des feux d’herbe, distinguer les nuances colorées des paysages me sont sans cesse un vrai régal.

 

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Gilles Compagnon – Floreffe 2009

 

 

 

Hier, aujourd’hui, demain.

 

Quand j’étais jeune, souvent pressé et toujours affairé, je courais d’une occupation à l’autre.
Si ma curiosité me poussait hors de ma vallée natale, ma timidité cependant ne faisait pas de moi un aventurier. Je remplissais le temps faute d’épuiser l’espace.
Maintenant que je suis retraité, j’aimerais cueillir le jour, accueillir l’instant.
Je sais qu’à l’avenir l’espace se rétrécira autour de moi et que l’exploration de l’instant sera mon seul voyage.

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Gilles Compagnon – Floreffe 2009

 

 

 

Je meurs et renais ; je est un autre…

Bien que résolu à créer un scénario qui servirait de trame à un récit imaginé, et sans aucun esprit de provocation ni de rébellion, je butte. Le jeu aujourd’hui me rebute !
Ce ne sont pas les mots qui m’animent et me font rêver, mais les images. Et sauf à parler de moi, les exemples me manquent pour illustrer le thème.
Je me sens fatigué ; pas triste : juste un peu dépité. Comment faire un bon jus d’orange rien qu’en se pressant le citron ? C’est la chute…


Gilles Compagnon – Floreffe 2009

 

Des humanitaires retenus en otage par des rebelles.

Une quinzaine de jeunes volontaires occidentaux qui faisaient une randonnée touristique en Colombie à la recherche d’exotisme et de dépaysement, ont été captu-rés samedi dernier par des rebelles antigouvernementaux.
Sous-traitée à une agence de tourisme locale, cette randonnée d’une semaine dans la jungle leur avait été offerte par l’ONG organisatrice, pour clore un chantier d’irrigation d’un mois situé dans une région particulièrement pauvre et défavorisée.

 

 

 

Les rebelles, qui ne seraient pas liés au terrorisme international, auraient posé deux conditions à leur libération : verser une rançon d’un million d’Euros et libérer trente cinq de leurs membres qui ont été fait prisonniers depuis le début de leur rébellion.
L’ambassade travaille activement avec les autorités locales pour prendre contact avec les ravisseurs et négocier les modalités de leur libération.
Les familles de ces volontaires sont invitées à contacter le ministère des Affaires Etrangères pour être informées en temps réel de l’évolution de la situation.

 

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 Gilles Compagnon – Floreffe 2009

 

 

La lettre au monstre intérieur

 

            Cher monstre, mon semblable, mon frère,
Que tu es laid, avec ton gros nez surplombant de grosses lèvres, et ton petit crâne pointu !
Que tu es moche et difforme, là, recroquevillé sur le bout de ta chaise, les yeux fermés, l’air absent, tes mains agrippant ta casquette et les bras coincés entre tes jambes croisées !
Ta prostration me répugne, et pourtant, malgré mon envie de te foutre des baffes pour te faire réagir, te forcer à te déplier et à t’ouvrir au monde, tu me fais pitié.
Je te déclare qu’à partir de dorénavant, je te soustrais à mon regard, que dis-je ? à ma conscience, en glissant ton image sous le paillasson de l’entrée afin que les visiteurs te piétinent systématiquement sur leur passage !
Pour adoucir l’expression de mon profond dégoût, je te prie d’accepter, cher monstre, l’ombre de ma tendresse pour toi.

Comment s’est-on débarrassé de son monstre intérieur ?

Comme le piétinement du paillasson par les visiteurs ne suffisait pas à effacer l’image subliminale de mon monstre, de bons amis me donnèrent quantité de conseils que j’ai tenté de suivre, avec plus ou moins de conviction, je l’avoue.
C’est ainsi que pour l’amadouer, je lui ai offert une tresse de réglisse ; mais il n’en aimait pas le goût ! J’ai aussi acheté une nouvelle paire de lunettes, espérant ne plus pouvoir le reconnaître dans la glace lorsque je me rasais…
Voyant que ce n’était pas efficace, j’ai vendu à un brocanteur (que je soupçonne être fin psychologue, car il me les a repris à vil prix, le salaud !) tous les miroirs de ma maison… Cela non plus n’a pas suffi à faire disparaître l’image épouvantable qui me hante et m’envoûte.
Pour essayer de m’en détacher une bonne fois pour toutes,  j’ai bu de l’eau écarlate, suis rentré dans un temple bouddhiste et pratiqué la méditation. Rien à faire ! L’image était dans ma tête et regardait mon âme !
Piteusement, je me suis enfin décidé à consulter un psychiatre. Je lui ai raconté mes déboires, mon échec patent et j’ai conclu en lui avouant que je ne savais pas bien qui j’étais. Après un silence, et un bon sourire, il dit : « Contentez-vous simplement d’être vous-même… ».
Et j’ai bien retenu cette leçon, qui m’a pourtant coûté plus cher que son fromage au corbeau de la fable !

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Gilles Compagnon – Floreffe 2009

 

 

 

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Les photos sont de Robert Varlez.