Menu  Cliquez-ici-menu de la revue-                                                                                                 

Lèse-Art Re-Mue

Jean-Paul Gavard-Perret   N °18

 

I

BOB VERSCHUEREN : ETERNITE DE L’EPHEMERE


Bob Verschueren, Fondation Salomon, Alex (France) du 12 mars au 5 mai 2011.


Au sein de l’œuvre de Bob Verschueren tout reste dans le suspens et le précaire. Ceux des matières, comme ceux des couleurs ou du temps. Se rejoignent une forme de diaphanéité et une fragilité de la matière. Dans son atelier ou in situ l’artiste prépare des végétaux selon et comme il l’écrit « une écoute attentive des éléments que je travaille et selon une attitude qui tient compte des structures naturelles ». Il y a de larges feuilles, d’imposantes constructions qui dessinent dans les lieux d’installation des calligraphies insolites. Tout cela attend que le désir de l’artiste s’y accroche le moment venu. Plus que des vestiges de la nature il s’agit de « pierres d’attente » pour un futur plus ou moins immédiat. Et fugitif.


L’univers de l’artiste est devenu au fil du temps un univers végétal. Toutefois il ne s’agit pas d’une végétation à la Greenaway. Chez Verschueren le grouillant crée un étrange magasin de curiosités très agencé et structuré. A la luxuriance verdoyante du paysage extérieur tout en collines fait place à l’intérieur ces éléments qui participent à la création. Passant du dehors au dedans, la nature se transforme en éléments de recueillement. Tirées du rythme des saisons les plantes deviennent bien plus que le prétexte à la « sculpture ». Elles en constituent la matière et les formes et expriment la ténuité de l’être et de l’art en leur perpétuel échange (l’un sans l’autre sont si peu de chose...)

Une expérience sensorielle liée à la trace est toujours présente. L’artiste comprend soudain que derrière la forme il y a la matière. A partir de ce constat tout change.


Le végétal est donc matière de résurrection. Il se mêle aux éléments des anciennes figurations de Verschueren. Cette matière « primitive » est travaillée comme un matériau précieux. Alors que certains artistes (comme Isabelle d’Assignies par exemple) utilise le végétal lorsqu’il arrive au bout de son cycle des saisons. Parfois l’artiste belge préfère ce qui est printanier. Il opte alors pour la tendresse des feuilles fraîches plus que pour la rigidité par exemple dans ses « miniatures végétales ». Mais à l’inverse ses installations qui présentées à la Fondation Salomon sont faites pour la plupart avec des troncs et branches d'arbres qui selon l’artiste « rappelleront bien plus l'hiver que le printemps ». Et d’ajouter « Je dirais plutôt qu'à l'automne, je préfère les quatre saisons! ».


La fantaisie des formes d’un arbre cacochyme, d’un maïs en train de pousser. Il intervient sur ce réel pour lui donner une autre essence vitale et par delà tout prétexte symbolique ou métaphorique. De la nature l’artiste tire donc bien plus qu’un chant du cygne. Refusant un simple embaumement ou une momification il offre de l’éternité à l’éphémère le plus ténu. D’où la sophistication de l’art là où on l’attendait le moins. L’objectif est capital. Il s’agit de conserver à l’objet son désir sans le réduire à une apparence, à une image. Le propos est d’offrir aussi l’intact d’une sensation visuelle quasi primitive. L’artifice de « conservation » est exclu.


Partant de la simple cueillette Bob Verschueren crée une transmutation sans recours à la transsubstantiation. Proche de l’Arte Povera mais aussi de Supports Surfaces l’artiste les dépasse comme il déplace ce qu’on pourrait appeler un art écologique. On le situera plus légitimement vers les artistes du dépouillement, de l’ellipse et de la simplicité. Ajoutons que si son oeuvre s’inscrit totalement dans les problématiques de l’art contemporain elle n’en épouse pas pour autant les modes. La fascination de l’œuvre ne tient pas tant à la conservation qu’au cheminement d’une ténuité de verdure. Surgit un présent livré au pur passage, au suspens. Les œuvres touchent à une synthèse par exemple dans leurs alignements de rangées de feuilles suspendues. Il y a là autant un réalisme que son inverse. Il s’agit surtout d’une sur-vivance provisoire. Il vit soudain d’une autre vie en une effusion panthéiste.


De telles célébrations «texturologiques» reste toutefois la manière de s’extraire autant du temporel que de l’anecdote afin de rejoindre un monde d’universaux. La matière devient actrice de sa transmutation et de sa présence. L’éphémère n’en finit pas de rejoindre une transcendance. Ce qui est préservé pour un temps – pour un temps seulement - nous dit de vivre une autre vie. Et nous montre un dévoilement vers l’indévoilable dans des lieux d’impénétrables proximités.



Jean-Paul Gavard-Perret.

 

SOFIA COPPOLA : LE RIEN ? LE TOUT ?


Sofia Coppola agace à plus d’un titre. Ou voudrait la réduire à une petite fille riche gâtée par le destin en oubliant tout de même son entrée fracassante dans le grand bain hollywoodien (ou presque) avec « Virgin Suicides ». « Somewhere » se fait donc plus ou moins (plus que moins) étriller par la critique qui veut voir parfois dans ce film un thriller métaphysique…


Apparaissent des images et des thèmes récurrents à l’artiste. On peut même voir dans ce film une version dupliquée de « Lost in translation » - exotisme nippon en moins. Le film reprend un même effet de bouche. Elle est ironiquement indiquée dès le début de film par la ronde agaçante d’une Ferrari noire. Se retrouve surtout l’errance. L’errance d’un acteur. Bill Murray est remplacé par un alter ego plus jeune (Stephen Dorff). A la dérive vaguement amoureuse est substituée une (brève) rencontre filiale.


Sofia Coppola ne se prend pas les pieds dans le tapis de l’hôtel Marmont pas plus que dans celui de l’hôtel Principe di Savoia de Milan. A l’exotisme fait place le vide et l’anonymat des deux hôtels cités. De Milan on ne voit rien (sinon une scène fugitive d’aéroport). De Los Angeles (et accessoirement de Las Vegas) on ne connaîtra que des paysages routiers. Alors que dans « Lost in Translation » Murray était suivi de près et marqué à la culotte, dans « Somewhere » l’acteur central est vu souvent de manière aporique : sa voiture le remplace telle une grosse mouche qu'il finira par laisser sur le bord d'une route.


Ceux qui attendaient une suite à Marie-Antoinette avec du sang resteront sur leur faim. Dans ce film en costumes la violence des révolutionnaires était déjà effacée au profit d’une sorte de ouaté élégiaque. Ici la réalisatrice répond aux remugles de l'Histoire par une histoire sans histoire. Elle ne joue que sur le suspens d’un sinistre dont on ne sait vraiment pas grand chose. Et pour cause. Sofia Coppla n’en dit rien et le suggère à peine (sinon en une sorte d’ironie sublimée).


Plus que la chute du (pâle) héros masculin c’est avant tout une nouvelle fois celle des femmes qui est proposée. La réalisatrice filme en délicatesse et diaphanéité leur glissade quasi impalpable. Certes les jeunes filles ne se suicident plus, les reines ne finissent pas décapitées : elles se diluent dans l’atmosphère comme elles disparaissent de la vue du héros - du moins ce qu'il en reste. Le film revient à un lent processus d’effacement à travers le malaise que Sofia met en place à travers l’indicible.


Une fois de plus elle excelle dans ce registre. On comprend qu’il peut paraître insupportable à certains. Dans les couleurs en demi teinte qui jouxtent la pâleur du début à la fin de "Somewhere" nous glissons dans un univers du rien plus que de la déréliction. Le tout au sein du presque non marqué d'affectivité : juste deux épisodes rapides de pleurs et un plan séquence étouffant d’un masque qui recouvre la tête de Stephen Dorff le rehaussent. En dehors de ces points d'achoppement le reste passe à la trappe de l’insignifiance. Seuls subsistent des corps de femmes – séduites ou non – mais toujours laissées à l’état de vacance. Comme le sont - entre autres - les deux gogos danseuses en chambre (clones des soeurs Hilton) dans leurs chorégraphies dérisoires.



Toutes fondent dans le décor. Elle restent à l'état d'ersatz en un décor vaporeux ou anonyme. Seule surnage la fille pré-pubère du héros. Encore timorée mais déjà presque adulte avant l’âge puisque ballottée dans un no man’s land affectif de parents séparés et toujours en cavale. Pour le suggérer Sofia Coppola évite toutes les scènes agressives. Son génie de la superficialité apparente donne à son film sa profondeur abyssale. Et il n’est pas jusqu’à un hamburger abandonné d’en devenir un stigmate...


Le tout dans un sens achevé de la beauté. Certes les diverses séquences sont filmées, d'un "cut" à l'autre, selon un filage assez attendu. Cela n’empêche pas "Somewhere" de devenir un film paradoxalement lumineux. Même si le grand soleil en est pratiquement exclu. A l’exception d’une scène où le ciel californien est saisi dans sa nudité avec juste sur sa gauche la tête ébouriffée d'un palmier typique de la Cité des Anges.


Une scène de patinage, une préparation d’un petit déjeuner suffisent à suggérer des moments d’exception. Dans ce film presque muet le mâle est remis à sa juste place. Lorsque Stephen Dorff tente de s’épancher au téléphone auprès de son ex-femme un simple “Tu devrais faire du bénévolat » le remet devant sa vacuité. Et l’ironie rappelle à ce privilégié que ses affres sont à deux balles.


Reste la diaphanéité atmosphérique de lieux sans consistance. Ils deviennent ceux de l’existence diluée dans son propre anecdotisme. On peut trouver cela secondaire. Mais sans doute beaucoup moins que tous ces films français recroquevillés sur eux-mêmes et où le moi prend des disproportions que Sofia Coppola n’a cesse de réduire à rien ou si peu. Un si peu qui devient un tout. D'autant que la bande son aussi discrète qu'ironique (ah le vieux tube de Presley interprété à la guitare acoustique par un Chicano !) renforce grâce en particulier à l'électro souvent minimaliste un univers impalpable et quasi abstrait. L'image devient soudain autre chose qu'une image et les mots ne sont pas que des signes. Ils possèdent chacun une incomplétude au sein d’une pétrification plastique rare.


Jean-Paul Gavard-Perret.