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Lèse-Art Re-Mue

Editorial : Lola Rastaquouère   N °18

 

I

  

 

Mais vous voulez bien vous taire s'il vous plaît !!!


Ce qui suit n'est pas un crachat. C'est une conclusion.

 

Dans nos contrées, on aime se plaindre, faire des raccourcis clavier et tendre l'index jugeant vers tout ce qui merde. C'est une grosse déviation judéo crétine imprégnée dans nos gènes depuis la nuit des temps. Ca c'est bien, ça c'est mal, ça c'est pas correct, et ça c'est carrément de la merde. Le nez à fond dans ce système du Jugement Dernier, trop occupés à trier le blanc du noir et les couleurs avec les couleurs, on ne se rend plus compte qu'en faisant un pas sur le côté, on peut changer de point de vue.

Parce qu'à mon humble avis, septante vingt pourcent de notre vie n'est qu'une question de point de vue.

Et c'est là que par un entrechat élégant j'en arrive au sujet principal : l'enseignement.

Aïe ...

  

On se définit souvent par ce qu'on fait dans la vie des vivants.

" Ah et vous faites quoi ? Je peins. Non mais avant ? J'enseignais. Quelle classe ? ...  Et c'est parti pour la petite explication qui se termine TOUJOURS par " vous avez du courage " ... Du courage ... ??? Euh, non ....

 

Je n'ai jamais demandé pourquoi les gens me disaient que j'avais du courage d'être enseignante, mais j'imagine que ce mot camoufle des scènes d'horreur du prof qui hurle devant une bande de dégénérés concentrés sur tout sauf le cours, d'élèves atroces variant entre l'élève Ducobu ou le djeune de base en casquette réduite dont le flegme n'a d'égal que l'énervement hystérique du pauvre prof.

Hé bé pas du tout ... Mais alors pas du tout de chez pas du tout.

 

J'ai bossé dans différents milieux dans différentes fonctions et différentes ambiances. Cela va de l'école de prouteux des quartiers chics aux quartiers de merde tout remplis de sales immigrés débiles. J'étais trop rebelle pour gérer les prouteux ( et surtout les parents mécontents permanents des prouteux ) que pour y être restée longtemps. Mais le CDD m'a amplement suffi. Par contre, chez les débiles du fond du panier, là j'ai trouvé un sens à ma vie. Wé rien que ça ....

 

En même temps c'est simple. On récupère des ados en échec qui ne supportent pas l'autorité, désabusés, qui ponctuent leurs demi phrases de putain fils de pute fais chier, mal dans leur peau, mal dans leur vie, à leur place nulle part : que du bonheur pour une nana comme moi ! Quand on a des failles et des manquements et qu'on a tout bien réfléchi là dessus, on sait exactement ce qui nous a manqué. Et donc on sait ce qu'il faut donner pour combler. C'est déjà une première conclusion.

 

Je n'ai jamais voulu connaître les détails de la vie de mes élèves au mois de septembre. Au mois d'octobre non plus d'ailleurs. Je voulais me forger ma propre opinion et ne pas placer une code barre sur la gueule de Mohammed ou Medhi ou .... On est pas notre passé. On est là maintenant. Parce qu'un élève qui démarre avec " oui mais lui, tu sais, chez Madame Machin il a craché au visage de Truc mais c'est normal parce que son frère que j'ai eu il y a 4 ans était une racaille qui .... ", c'est humain, on le place dans notre ligne de mire tout bien là au milieu et on évite de trop se retourner en lui montrant nos fesses au cas zou ... Et quand un humain a une sale réputation, il a intérêt à redoubler voire requadrupler de bonnes actions pour essayer de s'en défaire. C'est un peu comme le casier judiciaire : ça colle à la vie.

 

Ensuite, j'ai réalisé que je n'étais pas une machine sans émotions. J'interrogeais plus facilement les garçons que les filles. Parce que je suis une fille qui aime les garçons déjà. Et plus particulièrement ceux à ma droite, parce que j'ai une vue de droitière. Une nana à ma gauche avait donc moins de chances qu'un mec à ma droite. Et comme j'aime les fortes têtes, une nana timide à ma droite était aussi visible que la punaise qui tient l'affiche sur le subjonctif présent au mur. Mes élèves changeaient donc de place en permanence. "Pffff fais chier .... ". Oui, je sais, mais je peux pas changer le tableau de place toutes les semaines les gars !

 

Il fut un temps où l'enseignement était comme l'éducation à la maison ou comme la scolarité ici dans l'école de sAm : le contrôle, les principes, la rigidité et le reste au coin. Les moeurs évoluent, les gens évoluent, la société évolue et l'enseignement doit aussi évoluer. C'est pas gagné .... Le prof de base souffre souvent d'une organisationnite aigue. Il a besoin de contrôler, de ranger et de trier en permanence. Sur base d'un programme à voir et à boucler, cela ne fait qu'accentuer son contrôle permanent dès 8h30 le lundi. Et que ça se range bien en deux files, et que ça doit s'asseoir là tout bien droits à leurs places, et que ça doit se taire et tout bien écouter et que ça doit surtout bien fermer sa gueule et avoir le maximum aux contrôles. Je suis très heureuse de ne plus être élève, parce que déjà c'est très chiant et je pense que ma collection de punitions-copier le verbe se taire à tous les modes et tous les temps- serait digne d'un Medhi puissance Mohammed au carré.

 

J'ai connu un prof dans ma petite vie. J'en ai connu plusieurs qui m'ont agréablement marquée, mais celui là avait ce grand quelque chose qui aura gravé mon enseignement au fer rouge. Ce monsieur avait déjà la passion de sa matière. Il était intelligent, en recherche. Ca ne sentait pas le cours qu'on doit donner. Et la passion, c'est comme la grippe, c'est super contagieux quand on est pas opaque. Ensuite, il y avait ce respect. Ce monsieur s'adressait à chacun d'entre nous. Pas à une masse. Il nous vouvoyait et nous regardait dans les yeux. On se sentait exister. Et on avait devant nous un gars intelligent. Ce monsieur a toujours été dans ma tête, tant au niveau de mes choix que comme prof. Je voulais enseigner avec cette ferveur et ce respect des élèves. Un Mohamed peut aimer Norges, un Antoni peut découvrir les racines carrées, Allan peut aimer apprendre, mes élèves peuvent m'apporter des leçons de vie. Tout cela est un échange, une manière de donner à l'autre ce qu'on aimerait recevoir. Comment attendre du respect si on se dit qu'ils sont cons ? Comment enseigner si on part du principe qu'ils n'arriveront à rien ? Comment croire en Abdoulah si on est convaincu que le chômage est au bout de la route ? Et comment former des gens intelligents si on essaye juste de boucler un programme ?

 

Je n'ai pas été une prof extraordinaire, loin de là, mais j'ai trouvé dans ce métier une route de vie.

Et chaque être qui a croisé cette route a pu m'apporter quelque chose. Je les ai aimés mes élèves. Certains plus que d'autres. Et je suis immensément fière de les avoir rencontrés. Parce que quand on porte un regard positif sur quelqu'un, un autre point de vue, cette personne va naturellement dans ce sens. Et ça, ça ne quittera jamais ma tête.

 

Et ce n'est pas en stigmatisant un comportement, une population, un groupe religieux ou social qu'on arrivera à ce qu'on a envie profondément. La paix ....

Conclusion terminée.

 

Bonne semaine, les gens :)

 

 

Lola Rastaquouère.