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Lèse-Art Re-Mue

Deux articles de Jean-Paul Gavard-Perret
  N °15
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Toon Hertz : BOUT DU BOUT

WOLS ET LA DECONSTRUCTION

    

 

 

 

TOON HERTZ : BOUT DU BOUT


Toon Hertz, espace TreeTop, Liège.


Sombre ou drôle, féminin (de préférence) la sexualité  suscite chez Toon Hertz une irrésistible attention voire une attraction irrépressible. Mais il n’est pas le seul !  Et si la sexualité a tout hérité d’un théâtre de la cruauté que l’artiste reconstruit il demeure tout de même l’essentiel jusqu’à ce que le rideau soit tiré. Il sait que les femmes nous balisent depuis la nuit des temps et que nous ne pouvons totalement nier l’inceste. Par notre naissance nous l’avons consommé


Entre le rêve du sexe et le sexe de rêve c’est tout le corps qui bascule dans cette œuvre. Toutefois afin d’atteindre le paroxysme de plaisir l’artiste laisse aux corps qu’il exhibe le temps de se réfléchir de manière surprenante. Né en 1967 à Liège, passionné très tôt par le dessin, le destin du futur artiste bascule lorsqu’il se fait électrocuter en touchant la télévision familiale lors de la diffusion d’un film d’épouvante. Cette épreuve le laisse hirsute  durant de longues années. Mais ce n’est pas la seule conséquence « fâcheuse » : l’incident pousse le garçon à entretenir une obsession pour les films de monstres et de science-fiction. Il entre (déjà) en dissidence. Cela s’aggrave avec son goût pour le punk rock et le métal gothique. Le mal est fait. Il ne lui reste plus qu’à s’inscrire aux Beaux-Arts et à découvrir un peu plus tard Photoshop. Il  troque ses crayons et ses feutres contre une souris. Depuis, il n’a de cesse de faire se télescoper l’univers enfantin  (ou presque) et fantastique (idem). 

Sombres et gothiques à souhait les corps de ses incarnations virtuelles sont des signes noirs mais incandescents. Sous une armure (le sexe dit faible est passé maître ici dans l’art de la parure) les galbes de  chaque créature est roi. Mais seuls les fantasmes les caressent. Ce qui n’empêche pas (qui sait ?) chaque « exhibée » d’atteindre l’orgasme. A leur vision on comprend combien d’adeptes des cultes des morts et des mots sont tombés dans leur « caveaubulaire ». Sous la pulsion sexuelle est atteinte (en particulier pour les amoureux qui fréquentent les cimetières) une excroissance « mâligne ». Preuve que dans de tels lieux la rigidité n’atteint pas seulement les macchabées… Toon Hertz nous rappelle ainsi qu’il ne faut pas compter sur les peintres de l ’indicible pour révéler l’insondable : les sexes ne meurent pas sans laisser de trace.


Transgressant tous les édits de chasteté sans tomber dans la pornographie, l’artiste belge avec doigté, fausse pudeur fait dilater les fantasmes bien au-delà du seul spectre du sexe. Sujet inépuisable et objet de passage il feint d’assouvir le plaisir pour mieux asservir à l’objet du désir. Dans l’œuvre l’amour n’est pas forcément en fuite. Toutefois  il n’est pas le souci majeur.  Généralement il est admis que l’amour mythifie et que le sexe mystifie. Mais par ses images Toon Hertz crée insidieusement un changement. Si le sexe est présent, la tête reste importante. Pour preuve la grandeur démesurée qu’elles prennent dans ses dessins. Manière peut-être d’éviter que le coït devienne chaos et qu’une fusion mystique apparaisse là où on ne l’attend pas. 


En regardant de tels dessins on n'est pas loin de penser que la plus belle relation sexuelle est celle qu’on ne peut pas avoir. Néanmoins la danse du sexe demeure chez lui des plus macabres. Si bien qu’on se demande si la mort ne s’évertue pas à l’ultime raideur qui lui est dévolue... Toujours est-il que chaque petite mort mérite bien une minute de silence (au moins !). Toon Hertz abandonne  à ses créatures  le soin de balayer nos derniers scrupules. Et  lorsque la nuit s’allume en arpentant leurs sommeil elles réveillent les dormeurs.

Jean-Paul Gavard-Perret.

 

Toon Hertz

 

WOLS ET LA DECONSTRUCTION


 
« Wols, Aphorismes » transcription de Hans Joaquim Peterson, Flammarion, coll. « Ecrits d’artistes ».


 
Wols (1913-1951) est un peintre et photographe allemand. Il reste sans doute le plus grand représentant de l’art informel et du tachisme. Il devint aussi le maître du « close-up » photographique. Il composait ses sujets selon des angles inattendus. Il détruisait ainsi la composition en allant à l’encontre des attentes du spectateur. Bref il fut le maître d’un concept qui désormais est arrosé à toute les sauces : la déconstruction. Chez lui elle gardait tout son sens jusqu’à son œuvre « littéraire » elle-même. Emprisonné dans un camp d’internement français avec d’autres allemands en 1939 il portait sur lui un vieux sac de toile dans lequel – et entre autres – il engouffrait une multitude de morceaux de papier recouvert d’aphorismes. Wols gardait le projet de créer avec eux et avec des textes tiers choisis par lui et ses dessins un mélange qui ne verra jamais le jour. Puisant dans les archives privées de la famille Hans Joaquim Petersen a réuni ces textes où il est question de rien et de tout. En particulier de l’amour, de l’argent, de dieu, du monde, des femmes, des voitures et de l’art.


On retrouve dans ses écrits enfin rassemblés la même ironie cynique mais parfois mélancolique que dans son œuvre. Ses papiers permettent de mieux la comprendre. Le travail de l’artiste dans ses décloisonnements formels esquisse toute l’histoire de l’art qui a zébré les imaginaires du XXème siècle. Dans son travail la possibilité est donnée à l’image de circuler le plus librement possible. C’est pourquoi ce qui chez lui parut  parfois halluciné ressemble à nos réels. On peut même parler de son travail – le temps ayant passé – comme d’une fiction réaliste ou d’une sorte de marelle. Elle a permis à l’art de faire des pas de géants. Et l’artiste semblait nous faire jouer à colin-maillard dans ses labyrinthes visuels en y insérant un kaléidoscope d’images mêlées, multiples et complexes.


Les aphorismes permettent donc, comme par la bande, de se ressaisir de l’œuvre et reprendre conscience de son actualité. Tout le cursus de l’artiste demeure transversal et non réductible aux spécialistes. Dans son cadavre exquis d’étranges rêves semblent prendre le dessus. Pourtant ces îles d’utopies restent dystopiques. Tout un inconscient collectif s’y révèle et bien des paysages troués en émergent. Mimétismes suspects, racines fantasmagoriques, interrogations des réalités et des imaginaires : tout y est. Wols inventa de nouvelles formes de narrativité en charpie dans un abysse de strates aussi compliquées que simples. Ce magma visuel annonce déjà les mutations burroughsiennes de l’image et anticipe la construction – par déconstruction - des champs et des chants étranges.


L’œuvre reste donc caractérisée par le regard particulier qui l’a créée. Wols fait mouvoir le réel pour en donner son interprétation et sa propre conscience. Ce qu’il révéla fut pris pour une sorte d’hypnose. Pourtant l’artiste ne voulait « que » saisir une image particulière mais déclinée sous moult  avatars. Celle qui décadenasse les visions établies sans rejeter la diversité « effrayante ». Car Wols opta toujours pour l’extase contre l’archétype et pour la tentative du moi à se défaire de son propre conditionnement au prix d’y voir surgir des pulsions les plus profondes en des formes inattendues car exogènes. Ajoutons qu’il existe aussi un aspect transcendantal chez Wols dans la mesure où l’implication totale de l’artiste dans son travail l’élève jusqu’au rêve. Le créateur est donc de ceux qui ont fait déborder l’image. Son inondation reste encore prégnante. Par l’étendue de son aura une expérience de l’ouverture perdure. Grâce à son imaginaire l’imagination redevint ouverte, évasive. L’œuvre de Wols reste donc l’expérience de la nouveauté et donc de la liberté.


  Jean-Paul Gavard-Perret.