WOLS ET LA DECONSTRUCTION
« Wols, Aphorismes » transcription de Hans Joaquim Peterson, Flammarion, coll. « Ecrits d’artistes ».
Wols (1913-1951) est un peintre et photographe allemand. Il reste sans doute le plus grand représentant de l’art informel et du tachisme. Il devint aussi le maître du « close-up » photographique. Il composait ses sujets selon des angles inattendus. Il détruisait ainsi la composition en allant à l’encontre des attentes du spectateur. Bref il fut le maître d’un concept qui désormais est arrosé à toute les sauces : la déconstruction. Chez lui elle gardait tout son sens jusqu’à son œuvre « littéraire » elle-même. Emprisonné dans un camp d’internement français avec d’autres allemands en 1939 il portait sur lui un vieux sac de toile dans lequel – et entre autres – il engouffrait une multitude de morceaux de papier recouvert d’aphorismes. Wols gardait le projet de créer avec eux et avec des textes tiers choisis par lui et ses dessins un mélange qui ne verra jamais le jour. Puisant dans les archives privées de la famille Hans Joaquim Petersen a réuni ces textes où il est question de rien et de tout. En particulier de l’amour, de l’argent, de dieu, du monde, des femmes, des voitures et de l’art.
On retrouve dans ses écrits enfin rassemblés la même ironie cynique mais parfois mélancolique que dans son œuvre. Ses papiers permettent de mieux la comprendre. Le travail de l’artiste dans ses décloisonnements formels esquisse toute l’histoire de l’art qui a zébré les imaginaires du XXème siècle. Dans son travail la possibilité est donnée à l’image de circuler le plus librement possible. C’est pourquoi ce qui chez lui parut parfois halluciné ressemble à nos réels. On peut même parler de son travail – le temps ayant passé – comme d’une fiction réaliste ou d’une sorte de marelle. Elle a permis à l’art de faire des pas de géants. Et l’artiste semblait nous faire jouer à colin-maillard dans ses labyrinthes visuels en y insérant un kaléidoscope d’images mêlées, multiples et complexes.
Les aphorismes permettent donc, comme par la bande, de se ressaisir de l’œuvre et reprendre conscience de son actualité. Tout le cursus de l’artiste demeure transversal et non réductible aux spécialistes. Dans son cadavre exquis d’étranges rêves semblent prendre le dessus. Pourtant ces îles d’utopies restent dystopiques. Tout un inconscient collectif s’y révèle et bien des paysages troués en émergent. Mimétismes suspects, racines fantasmagoriques, interrogations des réalités et des imaginaires : tout y est. Wols inventa de nouvelles formes de narrativité en charpie dans un abysse de strates aussi compliquées que simples. Ce magma visuel annonce déjà les mutations burroughsiennes de l’image et anticipe la construction – par déconstruction - des champs et des chants étranges.
L’œuvre reste donc caractérisée par le regard particulier qui l’a créée. Wols fait mouvoir le réel pour en donner son interprétation et sa propre conscience. Ce qu’il révéla fut pris pour une sorte d’hypnose. Pourtant l’artiste ne voulait « que » saisir une image particulière mais déclinée sous moult avatars. Celle qui décadenasse les visions établies sans rejeter la diversité « effrayante ». Car Wols opta toujours pour l’extase contre l’archétype et pour la tentative du moi à se défaire de son propre conditionnement au prix d’y voir surgir des pulsions les plus profondes en des formes inattendues car exogènes. Ajoutons qu’il existe aussi un aspect transcendantal chez Wols dans la mesure où l’implication totale de l’artiste dans son travail l’élève jusqu’au rêve. Le créateur est donc de ceux qui ont fait déborder l’image. Son inondation reste encore prégnante. Par l’étendue de son aura une expérience de l’ouverture perdure. Grâce à son imaginaire l’imagination redevint ouverte, évasive. L’œuvre de Wols reste donc l’expérience de la nouveauté et donc de la liberté.
Jean-Paul Gavard-Perret.
|