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RE-MUE revue littéraire des lézards en mutation permanente. Chaque mois, RE-MUE donne la parole à un nouvel invité. |
N°1 |
Jacques Izoard, bonjour. Je crois que ce ne serait pas mentir de dire que
vous êtes considéré comme l’un des poètes belges contemporains les
plus importants, mais au-delà de cette formule, il serait intéressant de
retracer votre parcours. Nous sommes actuellement à Liège, et vous êtes
né à Liège, je pense. |
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Oui, c’est cela. Je suis né à Liège, juste avant la Guerre, j’ai toujours vécu à Liège donc je suis assez casanier. Bien sûr, j’ai voyagé, mais le port d’attache a toujours été Liège. Et je crois que l’expression est bonne puisque nous sommes au bord de la Meuse, donc question de port, on s’y connaît un peu à Liège… port fluvial en tous les cas. Mais je n’ai jamais quitté Liège, j’y ai toujours vécu, je travaille à Liège, donc Liège fait partie de mon univers de façon tout à fait réelle.acques Izoard, bonjour. Je crois que ce ne serait pas mentir de dire que vous êtes considéré comme l’un des poètes belges contemporains les plus importants, mais au-delà de cette formule, il serait intéressant de retracer votre parcours. Nous sommes actuellement à Liège, et vous êtes né à Liège, je pense. |
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Liège, ne quittant pas Liège, de pouvoir diffuser cette production littéraire, de se faire connaître ? | |
Mais disons que mon parcours, au niveau de la parution des textes, est un parcours qui s’est fait de manière très progressive. J’ai commencé à écrire des poèmes quand j’étais adolescent, j’ai publié mes tout premiers textes dans la Revue de l’Athénée Royal de Liège, et puis alors ça a été très progressif. Et puis j’ai publié à Liège, à compte d’auteur bien entendu, ensuite à Bruxelles, et puis en province française, et puis à Paris. Donc vous voyez, ça a été assez lent et progressif. Cela m’a toujours intéressé d’entendre des textes et d’inviter des auteurs, d’abord pour la rencontre personnelle et le profit de la rencontre personnelle, mais aussi pour donner l’occasion de faire entendre les textes des autres à un certain public amateur de poésie. Et alors, j’ai eu l’idée, assez tôt, à une époque où cela n’était pas encore aussi fréquent, où les lectures publiques n’étaient pas encore aussi fréquentes, d’organiser ces lectures. Il y avait une petite librairie qui s’appelait la librairie « Le Quai » sur un quai de Liège d’ailleurs et qui a été transposée par la suite En Roture, c’était une libraire qu’ils appelaient librairie-bookshop, c’était aussi le local central de réunion des libertaires, des objecteurs de conscience, il y avait toute une atmosphère un peu rebelle qui se passait dans cette libraire. Et alors, nous avons organisé, en plusieurs années, de très nombreuses rencontres semblables. Mais alors par la suite, c’était de préférence avec la présence de l’auteur. Parce que je trouve que même si l’auteur lui-même passait mal son texte – enfin, qu’est-ce que ça veut dire : lire mal son texte ? –, rien que sa présence contribuait un peu à électriser l’assemblée. |
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Avec Eugène Savitzkaya.On a publié quelques textes, notamment un livre qui s’intitule « Rue obscure ». On l’a publié aux Editions des Ateliers de l’Agneau, justement. C’est en fait un livre de voyage ; nous avions fait ensemble un voyage en Espagne, dans une région qui est en fait fort peu connue, au nord-ouest qui s’appelle les Asturies et dont la capitale est Oviedo. Et au fur et à mesure que le voyage se déroulait, nous écrivions chacun des textes. C’est-à-dire que ce sont des textes qui parlent chaque fois des mêmes choses mais avec un point de vue différent, bien entendu. Ce sont des textes qui sont alternés, un texte d’Eugène, un texte de moi, etc…, et qui évoquent donc ce long voyage que nous avions fait en Espagne. Alors, pourquoi « Rue Obscure » ? Tout simplement parce que dans la capitale des Asturies, Oviedo, derrière la cathédrale, il y avait une petite rue très sombre qui s’appelait d’ailleurs « calle obscura » ; je trouvais ça magnifique. Les gens du coin n’avaient pas cherché midi à quatorze heures, puisque la rue était obscure, ils l’avaient appelée officiellement « calle obscura ». Et alors, j’ai pris ce nom de rue d’Oviedo comme titre de ce recueil à deux voix, à deux mains, commun. Puis nous avons encore publié notamment un autre texte ensemble, une petite plaquette intitulée « Plaisirs solitaires », toujours aux Ateliers de l’Agneau.
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Jacques Izoard, en prévision de cette émission, vous nous avez conseillé, à juste titre d’ailleurs, la lecture d’une de vos plaquettes qui s’intitule « Petites Merveilles, Poings levés » et qui est une espèce d’inventaire personnel de vos lieux de prédilection à Liège. Si vous voulez, nous allons les passer en revue ensemble.
Ça commence par un arbre rescapé à la Rue des 2 Châtaigniers. |
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Mais c’était deux splendides châtaigniers, très très très vieux. Il en reste un, d’ailleurs assez mal en point. Donc il existe toujours. Ce châtaignier, parce que je n’ai pas connu l’autre, se trouve dans le quartier où je suis né. C’était un châtaignier au tronc très épais, très large, et creux. Et alors, on se blottissait dans le creux du châtaignier, et c’était un endroit un peu magique, si vous voulez. C’était dans le quartier Ste-Marguerite, plutôt. Sur les hauteurs de Ste-Marguerite, un quartier très vivant d’ailleurs ; mais c’est déjà un peu à la limite du quartier vers des endroits qui autrefois faisaient un peu penser à la campagne. Maintenant évidemment la ville s’est densifiée, on a construit beaucoup, c’est la pleine ville. Mais à l’époque c’était un peu mi-ville, mi-campagne.
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Pour poursuivre cet itinéraire inhabituel, il y a une adresse qui est « Rue St-Jean-en-Isle numéro 20 ». | |
Oui, c’est en plein centre, où il y a une branche de famille, les Pierrard. C’étaient des marchands de sabots et de pantoufles. C’est une très vaste maison, superbe avec une cour intérieure en plein cœur de Liège. Rien que du point de vue architectural, c’est assez fascinant. De l’extérieur, elle ne paie pas de mine. Mais à l’intérieur, ce ne sont que dédales avec de vastes chambres. Et là habitait donc une branche de ma famille, ma marraine, Charlotte, Germaine, Colette, Mariette, mon oncle Edgard. C’étaient des commerçants, ils vendaient des sabots et des pantoufles. C’est une maison que je connaissais fort bien, parce que je faisais mes études à l’athénée royal de Liège ; et pour ne pas remonter sur le temps de midi chez mes parents, un peu hors ville, j’allais dîner au n° 20 Rue St-Jean. C’est une maison qui a vraiment fasciné mon enfance.
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Ce qui me semble important en ce qui me concerne, c’est que j’ai toujours été attiré par les choses concrètes, par une certaine vie quotidienne, parmi les objets, et pas tellement par rapport aux grandes idées de la poésie, aux grandes envolées lyriques, j’ai des amis qui vous parlent des constellations, de l’univers. Moi j’en suis tout à fait incapable, je vais plutôt parler d’une boîte d’allumettes, d’un caillou, d’un brin d’herbe. Mais, je ne sais pas pourquoi. D’abord, je n’ai jamais habité près de la Meuse. J’ai toujours habité plutôt sur des collines qui entouraient la ville. Donc la Meuse m’a toujours paru un peu lointaine. Je ne suis pas familier de la Meuse dans la mesure où, même si j’habite à 500m, malgré tout, ça me paraissait toujours un peu hors de mon aire habituelle. Si ce n’est qu’elle est présente et que je l’apprécie beaucoup. Mais je trouve que justement on a commis la grande erreur ici à Liège d’isoler la Meuse de la Ville. Mais bien entendu, Meuse, endormeuse, j’y suis sensible. J’y serais peut-être plus sensible en amont ou en aval. A Huy par exemple, je la sens plus proche de mon coeur, ou à Visé, parce qu’on peut la toucher, la voir, on peut se promener le long de ses berges. A Andenne, par exemple, il y a un petit chemin, encore une île. Là, elle me touche plus profondément. Tandis qu’ici, elle m’impressionne.
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Il semblerait que ce serait plus la banlieue que le cœur même de la ville qui vous attire. | |
Oui, ça c’est vraisemblable. C'est-à-dire que le centre même de la ville, un peu institutionnel, un peu figé dans l’histoire, m’intéresse peut-être… je préfère la ville là où elle se distend, où elle se défait. On arrive dans une espèce de no man’s land, de terrain vague. Là, elle m’intéresse davantage. Est-ce parce que je connais trop bien le centre ville ; ou bien le centre ville m’intéresserait à une autre époque. C’est plutôt l’envers de la ville qui m’intéresse. Là où la ville se défait, on détruit des maisons. Les blessures de la ville m’intéressent également, loin que je sois masochiste bien entendu. Le passé de la ville quand elle est en train de se former, de s’établir. Ce qui est abouti m’intéresse moins de manière générale.
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Et puis on dirait que vous ne voulez pas être maître de votre ville, dirait-on. Il me semble qu’il y aurait plutôt le plaisir de se reconnaître dans la ville que de la posséder. Ce serait plutôt le plaisir de s’y perdre, au hasard d’une déambulation. | |
Je crois que ça c’est un peu un état d’esprit, que je ne suis pas le seul à avoir d’ailleurs, une tournure d’esprit. Je suis vite dépaysé, je vais au fond de mon jardin, et je me demande où je suis ; j’exagère un peu, mais c’est un peu ça. Alors il y a des coins de la ville que je ne connais pas très bien. Et je me propose constamment de partir le matin très tôt et d’aller un peu au hasard, de m’éloigner de mes chemins habituels, de mes parcours tracés, fléchés, des chemins que je fais pour me rendre au travail, etc… Donc il y a cet aspect-là aussi. La ville inconnue dans la ville connue ; finalement, c’est un peu gigogne. L’envers de la ville. Il y a un très beau texte d’ailleurs de < > où il décrit une ville avec un grand lac. Alors c’est une visite, non pas de la ville elle-même, mais du reflet de la ville dans le lac. Et là, c’est un peu ça également. J’imagine volontiers une autre ville sous terre, qui serait l’envers de la ville, en étant à la fois le même et différent. Donc souterrain, un peu mystérieux. C’est une attitude qui me donne des poches d’écriture, dans cette mesure-là.
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