PROLEGOMENES AUX DERNIERS OUTRAGES :
JOEL HUBAUT
Ex (ou toujours ?) recordman du monde de lancer de camemberts Joël Hubaut est l’exemple parfait d’un irrégulier de l’art. Ils sont rares en France et souvent sont victimes de leurs diversions farcesques (à l’exemple de Ben Vautier). Le grand n’importe quoi demande en effet un long et lent travail d’imbécillité qui - seul – porte à l’intelligence suprême. Pour atteindre ce paroxysme de « sainteté » iconoclaste l’artiste entretient son obsession selon divers techniques et médiums. Celui qui commença son œuvre avec cet autre rare irrégulier que fut et que reste Ghérasim Luca ose bien des hybridations d’éléments particulièrement inaliénables tant sur le plan plastique que littéraire et musical. Troquant ses crayons ses feutres pour des machines plus ou moins molles chères à son mentor Burroughs il ne cesse de faire se télescoper l’univers enfantin (ou presque) et fantastique (idem).
Ses hybrides sourdement et faussement naïves suscitent une irrésistible attention voire une attraction irrépressible. Leurs corps sont des signes ou des cygnes (on ne sait plus très bien) aussi noirs qu’incandescents. Ses femmes par exemple ne sont pas là pour caresser les fantasmes. Ce qui ne les empêche pas (qui sait ?) d’atteindre l’orgasme. Et l’artiste tel un adepte des cultes des morts et des mots se plaît à tomber – et nous avec - dans leur « caveaubulaire ». N’est-ce pas là d’ailleurs entrer en communication avec le beau sexe deux saucisses dans le nez ? Hubaut rappelle ainsi qu’il ne faut pas compter sur les peintres de l ’indicible pour révéler l’insondable…
Il transgresse tout édit de chasteté sans pour autant tomber dans la pornographie. Avec doigté, fausse pudeur et paillardise il fait dilater les sujets inépuisables que l’art généralement prend au sérieux. Et si dans l’œuvre l’amour n’est forcément en fuite il n’est pas le souci majeur. Manière peut-être d’éviter que le coït devienne chaos et qu’une fusion mystique apparaisse là où on ne l’attend pas. En regardant de telles œuvres on n'est pas loin de penser que la plus belle relation sexuelle est celle qu’on ne peut pas avoir car seul les cadavres jouissent d’une raideur que même Rocco Siffredi ne peut espérer. Hubaut ne cesse donc d’accorder à l’art les derniers outrages en entretenant une obsession plus à l’humour qu’à l’amour. Il n’a cesse d’ailleurs de les faire se télescoper à travers ce qui trop souvent sert au mâle de pensée (Les femmes restent sur ce point plus circonspectes : l’ineffable fait partie de leur planète).
La drôlerie suscite chez l’artiste une irrésistible attention voire une attraction irrépressible même s’il a tout hérité d’un théâtre de la cruauté. Ainsi face aux Kandinskieurs et à ceux pour qui la ligne et le noir et blanc délimitent des champs, le créateur invente des espaces qui atteignent une puissance de dégénérescence nécessaire. Existe là une distorsion capitale tant l'œuvre s'arrache à une forme d'émotion référentielle, appelle à l'idée mais en même temps la fait piquer du nez. D'autres organisations prennent dans ses stratégies ludiques le relais. Se créent non seulement des séries de variations mais surtout la structure d'un nouvel imaginaire qui échappe aux catégories connues. Entre les codes cérébraux et le manque à gagner de la sensation, la forme gicle de manière apparemment irrationnelle pour prendre jusqu'à notre inconscient au dépourvu.
Un tel art permettra d'aimer toujours la vie contre la mort que l'on se donne et qui nous est donnée. Il permettra de nous empaler à la pointe de nos désirs. Et c'est pourquoi chez lui l’artiste héros fait place à l'histrion qui peut vaincre le pire en rappelant que la vie n'est pas qu'un leurre et que la mort n’est pas un Shakespeare. Nous pouvons enfin entrer dans le non stratifié à la jonction du voir, de l’entendre et du parler. A l'énonçable se mêle un visible et vice versa. L’art reste donc en dépits de ses "tares" ou de ses actes manqués - forcément manqués - le lieu par excellence de la mutation. Les questions qu'il pose sont les questions de la composante humaine ouverte vers l'avenir mais bouclée aussi par son passé comme si jamais rien n'avait encore commencé.
La re-présentation qu’Hubaut propose est celle du jeu entre nos forces et nos faiblesses, entre le pouvoir et l'esclavage sous toutes ses formes. Bref il nous propose des figures de sable ou de roc. Entre force, gravité, ironie, dérision et contre le snobisme épars des formes obsolètes qui ovulent en vignettes spécieuses l’artiste préfère le ridicule. Ce dernier ne tue pas. Il fait mieux : précieux il libère l'esprit de tout ce qui l'encombre et met en lumière le royaume de nos ombres.
Hubaut dénude les images comme un fil électrique et pour en augmenter le voltage. Il sait qu'un art qui exige une réponse n’aboutit pas à la pensée. Comment en effet expliquer la nuit à la nuit puisqu’on ne peut emprunter les chemins de la foudre ? Son travail n'est donc ni une aube tranquille, ni un crépuscule dérisoire. Ce n'est pas non plus une bourre duveteuse qu’on nomme félicité et qui emplit le creux de la pensée. Il fait reculer les choses que le sens prétend éclairer. Bref c’est un terroriste abstrait qui se retourne contre les plastiqueurs. Il en va de la vie de l’art comme d'un voyage : celui qui s'y engage découvre que son parcours est un accroissement de nulles parts. Mais pourtant il n'y a rien à regretter, car c'est le seul réel déplacement et le seul moyen de se libérer par le rire de l’affliction et de l’inflexion de la petitesse qui nous guette sans cesse. Le reste - si reste il y a - possède l’épaisseur d’une hallucination, d’une locution proverbiale. Résumons : regardant le monde à l'aune de la dérision et du zoo intérieur de l’être, un décapage a lieu. Peu pourtant en sont capables. Hubaut en nous rendant taupes-less face à nos certitudes fait de nous des voyants provisoires mais voyants tout de même. L’art reste donc l’avant-scène où parfois à mesure que la scène se vide tout arrive. Se dévide la masse d'énigmes qui nous clouent à ce que nous n'avons jamais osé devenir. Dans cette confrontation plus spectrale que spectaculaire, le corps sort de ses abris, l'identité se déploie. Hubaut rappelle que comme des bêtes nous poursuivons une proie imaginaire afin de savoir ce qu'il est en est du monde, des autres et de nous-mêmes.
|