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Lèse-Art Re-Mue

Jean-Paul Gavard-Perret   N °17

 

I

EstMYLENE BESSON ET PIERRE LELOUP  : DU PARADIS

 

Pierre Leloup et Mylène Besson, «Face à face», Musée Faure, Aix Les Bains du 14.01 au 27.02. 2011.

En désir fou et infinie tristesse, entre douleur et joie Mylène Besson et Pierre Leloup (qui firent couple jusqu’à la disparition du second) produisent des lieux d’un équilibre secret entre la perte de soi que suppose le sommeil et l’autre perte que provoque l’éveil. Entre le vide d’une nuit et le plein d’une journée.  Chez l’un comme chez l’autre surgit un temps où le rien laisse la place à une épaisseur paradoxale faite de peu. La lumière se retire des choses pour apparaître sur les êtres comme une caresse: tactilemen. Les deux œuvres conjuguent l’altérité, la distance comme la proximité en créant l’extériorité de divers pans lumineux sur le corps. Tout se fonde par un effet littoral où se conjoignent sans cesse l’ouvert avec le retrait, l’éclaircie avec la réserve, l’éveil au corps avec la souveraineté de son retrait. L’humain est porté à découvert. Et soudain on se souvient qu’être sur terre veut dire être sous le ciel. Cela veut dire être aussi dans l’atelier des deux artistes. C’est de là que tout part et que constamment tout revient. 
Sans doute les créatures des deux artistes rêvent-elles de tomber indéfiniment dans le ciel. Rêvent-elles d’y dormir.  De façon directe ou indirecte leurs initiateurs ont un seul souci : celui d’une double création qui reste résolument  verticale - même si en un temps plus ancien Mylène Besson  peignit des femmes douloureusement repliées de manière fœtale. Les deux artistes retrouvent ainsi l'attestation de la "merveille" dont parlait Giacometti : à savoir qu'un être puisse se tenir debout.  Ils pensent  l'art autant en terme d'être qu'en tant que signe. Pour autant le premier n'est plus un simple référent. De même que chez eux la verticalité n’est en aucune manière une nostalgie pour le divin. La peinture vit ici sans son recours. Et le couple n'oublie jamais l'humain trop humain. Il agite les deux œuvres et leurs hautes figures immobiles. Elles  prirent naissance dans le petit jardin arpent d'un paradis terrestre et un lieu secret de lumière. Chez l’un comme chez l’autre surgit un temps où le rien laisse la place à une épaisseur paradoxale. La lumière se retire des choses pour apparaître sur les êtres comme une caresse: tactilement.

PROLEGOMENES AUX DERNIERS OUTRAGES : JOEL HUBAUT

 

Ex (ou toujours ?) recordman du monde de lancer de camemberts Joël Hubaut est l’exemple parfait d’un irrégulier de l’art. Ils sont rares en France et souvent sont victimes de leurs diversions farcesques (à l’exemple de Ben Vautier). Le grand n’importe quoi demande en effet un long et lent travail d’imbécillité qui - seul – porte  à l’intelligence suprême. Pour atteindre ce paroxysme de « sainteté » iconoclaste l’artiste entretient son obsession selon divers techniques et médiums. Celui qui commença son œuvre avec cet autre rare irrégulier que fut et que reste Ghérasim Luca ose bien des hybridations d’éléments particulièrement inaliénables tant sur le plan plastique que littéraire et musical. Troquant ses crayons ses feutres pour des machines plus ou moins molles chères à son mentor Burroughs  il ne cesse de faire se télescoper l’univers enfantin  (ou presque) et fantastique (idem). 

Ses hybrides sourdement et faussement naïves suscitent une irrésistible attention voire une attraction irrépressible. Leurs corps sont des signes ou des cygnes (on ne sait plus très bien) aussi noirs qu’incandescents. Ses femmes par exemple ne sont pas là pour caresser les fantasmes. Ce qui ne les empêche pas (qui sait ?) d’atteindre l’orgasme. Et l’artiste tel un adepte des cultes des morts et des mots se plaît  à tomber – et nous avec - dans leur « caveaubulaire ». N’est-ce pas là d’ailleurs entrer en communication avec le beau sexe  deux saucisses dans le nez ?  Hubaut  rappelle ainsi qu’il ne faut pas compter sur les peintres de l ’indicible pour révéler l’insondable…

Il transgresse tout édit de chasteté sans pour autant tomber dans la pornographie. Avec doigté, fausse pudeur et paillardise il fait dilater les sujets inépuisables que l’art généralement   prend au sérieux. Et si dans l’œuvre l’amour n’est forcément en fuite il n’est pas le souci majeur. Manière peut-être d’éviter que le coït devienne chaos et qu’une fusion mystique apparaisse là où on ne l’attend pas.  En regardant de telles œuvres on n'est pas loin de penser que la plus belle relation sexuelle est celle qu’on ne peut pas avoir car seul les cadavres jouissent d’une raideur que même Rocco Siffredi ne peut espérer. Hubaut ne cesse donc d’accorder à l’art les derniers outrages en entretenant une obsession plus à l’humour qu’à l’amour. Il n’a cesse d’ailleurs de les faire se télescoper à travers ce qui trop souvent sert au mâle de pensée (Les femmes restent sur ce point plus circonspectes : l’ineffable fait partie de leur planète).

La drôlerie suscite chez l’artiste une irrésistible attention voire une attraction irrépressible même s’il a tout hérité d’un théâtre de la cruauté. Ainsi face aux Kandinskieurs et à ceux pour qui la ligne et le noir et blanc délimitent des champs,  le créateur invente des espaces qui atteignent une puissance  de dégénérescence nécessaire.  Existe là une distorsion capitale tant l'œuvre s'arrache à une forme d'émotion référentielle, appelle à l'idée mais en même temps la fait piquer du nez. D'autres organisations prennent dans ses stratégies ludiques le relais.  Se créent non seulement des séries de variations  mais surtout la structure d'un nouvel imaginaire qui échappe aux catégories connues.  Entre les codes cérébraux et le manque à gagner de la sensation,  la forme gicle de manière apparemment irrationnelle pour prendre jusqu'à notre inconscient au dépourvu.

Un tel art permettra d'aimer toujours la vie contre la mort que l'on se donne et qui nous est donnée. Il permettra de nous empaler à la pointe de nos désirs. Et c'est pourquoi chez lui l’artiste héros fait place à l'histrion qui peut vaincre le pire en  rappelant que la vie n'est pas qu'un leurre et que  la mort n’est pas un Shakespeare. Nous pouvons enfin entrer dans le non stratifié à la jonction du voir, de l’entendre et du parler. A l'énonçable se mêle un visible et vice versa. L’art reste donc en dépits de ses "tares" ou de ses actes manqués - forcément manqués - le lieu par excellence de la mutation. Les questions qu'il pose sont les questions de la composante  humaine ouverte vers l'avenir mais bouclée aussi par son passé comme si jamais rien n'avait encore commencé.

La re-présentation  qu’Hubaut propose est celle du jeu entre nos forces et nos faiblesses, entre le pouvoir et l'esclavage sous toutes ses formes. Bref il nous propose des figures de sable ou de roc. Entre force, gravité, ironie, dérision et contre le  snobisme épars des formes obsolètes qui ovulent  en vignettes spécieuses  l’artiste préfère le ridicule. Ce dernier ne tue pas. Il fait mieux :  précieux il libère l'esprit de tout ce qui l'encombre et  met en lumière le royaume de nos ombres.

Hubaut dénude les images comme un fil électrique et pour en augmenter le voltage. Il sait qu'un art qui exige une réponse n’aboutit pas à la pensée. Comment en effet expliquer la nuit à la nuit puisqu’on ne peut emprunter les chemins de la foudre ?  Son travail n'est donc  ni une aube tranquille, ni un crépuscule dérisoire. Ce n'est pas non plus une bourre duveteuse qu’on nomme félicité et qui emplit le creux de la pensée. Il fait reculer les choses que le sens prétend éclairer. Bref c’est un terroriste abstrait qui se retourne contre les plastiqueurs. Il en va  de la vie de l’art comme d'un voyage : celui qui s'y engage découvre que son parcours est un accroissement de nulles parts. Mais pourtant il n'y a rien à regretter, car c'est le seul réel déplacement et le seul  moyen de se libérer par le rire de l’affliction et de l’inflexion de la petitesse qui nous guette sans cesse. Le reste - si reste il y a - possède l’épaisseur d’une hallucination, d’une locution proverbiale. Résumons : regardant le monde à l'aune de la dérision et du zoo intérieur de l’être, un décapage a lieu. Peu pourtant en sont capables. Hubaut en nous rendant taupes-less face à nos certitudes fait de nous des voyants provisoires mais voyants tout de même. L’art reste donc l’avant-scène où parfois à mesure que la scène se vide tout arrive. Se dévide la masse d'énigmes qui nous clouent à ce que nous n'avons jamais osé devenir. Dans cette confrontation plus spectrale que spectaculaire, le corps sort de ses abris, l'identité se déploie.  Hubaut  rappelle que comme des bêtes nous poursuivons  une proie imaginaire afin de savoir ce qu'il est en est du monde, des autres et de nous-mêmes.