GRAZIELLA VRUNA DECOUPES ET IMPRESSIONS
Danse exacerbée des atomes, mise au jour de l’ossature du temps et de son feu insoupçonné. Graziella Vruna fait preuve d’une vigilance détendue. Elle inspire, elle expire dans le proche, traduit jusqu’aux cendres mortes en vie, en parure. Velours de ses « épreuves » (qui n’en sont pas) pour un vol dans un ciel de chrome. Des formes flottent. Précises et nues.
L’artiste accueille tous les souffles. Elle ne craint même pas les loups du couchant. Elle allonge le cosmos en s’occupant de l’éphémère. Elle avance dans l’étrangeté des image non pour leur tordre le cou mais dans un exercice humble de transfiguration. Elle cherche les fruits de l’amandier intérieur qui étend le ciel en nous. Elle entend sa lumière/
Les images, les photos saisissent des instants. Elles gardent en elles le changement, la progression d’un trajet aérien. Elles capturent la course des nuages, montrent la limite subtile entre ciel et mer, mer et terre. Elles papillonnent et épinglent les papillons mais sans les trouer. Graziella Vruna le dit elle-même ce sont du « temps qui passe », des lignes trajectoires, et cheminement dans un milieu parfois indéfini, presque abstrait.
Tout ce qui est glissement, écoulement, métamorphose en cours est capté là où la photographie devient canevas et où la broderie pique des instants afin que se dessine un chemin « au fil » du temps. Parfois l’image l’absorbe. Parfois il le dissimule. Partout il n’esrt question que d’envol exquis vers un univers de rêve mais dont le réel n’est pas forcément exclu.
Forte de ses connaissances artistiques de l’art byzantin jusqu’aux plus grands Flamands elle a retenu aussi de l’art italien des anges et chérubins. Dans ses propres travaux leurs ailes bien plus complexes qu’il n’y paraît. Paons, libellules, papillons furent autant de sources pour les Fra Angelico, Giotto, Masaccio que pour elle. L’artiste exploite cette variété de formes et de textures pour leur valeur graphique. En reproduisant par exemple uniquement en noir et blanc pour ses dessins ses ailes de papillons elle en retient la quintessence statique jusqu’à les rapprocher du signe et de l’abstraction.
L’artiste reprend ses motifs sur divers supports afin d’insister sur leur aspect éthéré. En les dessinant sur papier japon elle accentue leur fugacité qu’il porte en germe pare nature. En les brodant elle provoque une sorte de vaporisation de la fibre afin de suggérer l’envol. Jointes à des thèmes floraux, ces ailes induisent le sentiment d’une nature sublimée. Et il en va de même avec ses photos de végétaux marques d’une réalité éphémère et fragile. Le cliché devient alors un terreau où s’enracine une empreinte d’éternité.
Graziella Vruna crée en parallèle un travail de découpage. Sur des images de ciel prises alors qu’elle voguait au-dessus des nuées, elle découpe en creux des silhouettes d’ange afin que leur trace s’imprime en négatif sur son support. Noir et blanc, plein et vide, lumière et ombre, transparence et opacité jouent de concert afin d’atteindre l’impalpable qui ne fait que renvoyer à l’énigme de l’être. Mais afin de souligner aussi que le désespoir n’existe pas. L’artiste crée des échos visuels qui deviennent le signe des signes, tout près, par delà ce qui fut et qui sera.
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Autoportrait |
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Lumiére-intérieure |
ACTION-PHOTOGRAPHING : OU ZHIHANG
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Ou Zhihang est né en 1958. Il est un des photographes phares de la nouvelle scène artistique chinoise. Il s’est d’abord fait connaître pour ses photos de mode. Il fut même un précurseur dans ce domaine. Après avoir obtenu son diplôme d’art il a commencé à travailler pour la radio et la télévision. Et il est encore aujourd’hui producteur exécutif du programme « Fashion News » et reste un photographe de mode de premier plan. Mais après s’être intéressé à la parure il se dirige parallèlement à la vérité « nue », une vérité aussi drôle et fascinante qu’iconoclaste. |
Les photos où il se met en scène sont volontairement grisâtres (ou presque) et tristes ou toit au moins sans appâts. Le photographe s’impose dans son propre processus de création en tant qu’auteur et acteur de ses prises de vues. Il se photographie nu entrain d’effectuer des séries de flexions et tractions qu’on nomme « pompes » face aux endroits plus prestigieux ou allégoriques de la Chine. Rien donc de violent, de guerrier : juste cette pure narration apparemment anecdotique et pourtant des plus signifiantes. La série de « nu » permet de mettre en scénographie deux passions de l’artiste : celui pour son corps et celui pour son pays. Ce corps – quelconque – est placé en relation avec ce que l’artiste nomme lui-même « le miracle du monde ». Equilibre et déséquilibre jouent à fond.
Ce nouveau point de départ découle de la mort mystérieuse de Li Shufen, une jeune fille de seize ans que la police déclara noyée dans un fleuve tandis que la population protesta et cria au meurtre et à l’abus de pouvoir policier. S’en suivit une censure médiatique de la part des autorités. Toutes les chroniques sur ce « fait divers » qui mentionnaient le nom de Li Shufen furent bloquées sur le Net. Si bien que les cybernautes occidentaux parlèrent de ce sujet avec la formule suivante « je suis ici pour faire des pompes » (« I’m here to do push ups » afin d’éluder les contrôles. Cette expression provint du fait que le garçon accusé par les parents de Li Shufen de son meurtre avait déclaré qu’il faisait des pompes sur le pont au moment où la jeune fille se jeta dans le fleuve et qu’il tenta de la sauver. La formule devint un code et il entra entré dans le langage publique en Chine. En conséquence son efficacité est désormais obsolète…Mais Zhihang a su en faire un bon usage en la prenant au pied de la lettre.
Pour créer ses « pauses » l’artiste chinois attend la bonne lumière et que le lieu soit vide afin de ne pas éveiller les soupçons des éventuels badauds (ou policiers). L’artiste a expliqué que se photographier lui-même se justifiait par le fait que la Chine reste encore un pays problématique en art comme en politique. Aussi et pour ne pas causer de préjudices aux autres il faut tout faire par soi-même. D’autant que les lieux choisis – en dehors de la place Tienanmen et la Muraille de Chine - sont des lieux liés étroitement à l’histoire de la Chine mais tout autant de son actualité. On voit ainsi l’artiste en traction devant la prison de Yunnan où restent bien des doutes au sujet de la mort d’un détenu ou devant le Bird’s Nest Olympique stadium qui témoigne du paradoxe culturel d’un pays qui cache derrière une belle façade tous les problèmes intérieurs de la Chine. On voit encore le photographe devant l’immense incinérateur de Guagdong ou face au nouveau siège de la télévision chinoise qui a brûlé lors de son ouverture…
En dépit de ses précautions Ou Zhihang s’est souvent fait arrêter par la police et ses photographies lui ont eté confisquées. Il n’est donc pas facile pour l’artiste de compléter au fil des ans sa série - même si l’étau se desserre. Le but de Zhihang possède une dimension sociale autant qu’esthétique. Il s’agit de sortir ses compatriotes de leur torpeur. Ils se sont en effet habitués au fil des décennies à une politique de surveillance qui ne cesse de bloquer le flux des informations. La traction-flexion du corps se veut ainsi le symbole de la réflexion qui reste pour lui un exercice de salubrité publique. En outre cette posture lui permet de cacher le sexe et de sortit la photographie d’un exercice exhibitionniste.
Ou Zhihang infiltre ainsi la surface des apparences par sa propre présence. Couché mais droit comme un i, il ne cherche pas le statut d'idole. Son corps nu devient un moyen de troubler la symbolique des lieux devant lequel il se livre à son "action-shooting". Il met ainsi du postiche dans le postiche afin que des imaginations trop longtemps en berne puissent imaginer encore. En conséquence l'objectif n'est plus le passage du fantasme à son reflet imité comme c'est trop souvent le cas en photographie. Et si l’image ne sauve pas elle devient la porte infernale par laquelle s'engouffre un vent de liberté. Elle est la douleur, le plaisir, l'humour donc la pensée, le monde ou son ombre portée et déplacée. Zhihang par ces scénographies montrer comment l’art peut être un vecteur de libération. En outre, nécessité oblige, le photographe s’offre un petit plaisir : cet exercice lui permet de conserver un corps athlétique !
Ajoutons - même si s'agit d'une évidence - que l'artiste ne cherche ni à rassurer, ni à éliminer l'abîme de l'art. Sa propre réorganisation de l'espace codé répond à une recartographie inédite. Sans doute parce qu'il reste un des rares artiste à ne pas se laisser assourdir par sa propre image...
Jean-Paul Gavard-Perret
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