Expositions et concours : entre parcours du combattant et foire aux vanités.

Quand on a fini une oeuvre ou un ouvrage, bien sûr, on peut le ranger dans un coin, l’oublier et passer à autre chose, mais on se sent un peu dans la situation d’un cuisinier qui jetterait tous ses plats à la poubelle.
Une oeuvre d’art c’est fait aussi pour être partagé.
Montrer, on y arrive au moins sur les réseaux sociaux et dans son entourage et c’est important. Mais exposer, ça c’est une autre affaire. On aimerait bien pourtant de temps à autres sortir de la virtualité pour un vrai contact d’oeuvre à homme.
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Alors on cherche des murs. Pour qui- comme pas mal d’artistes textiles- exerce un art aussi peu connu que reconnu, le parcours imposé c’est l’exposition collective. Là ma foi tout irait bien encore, qu’on expose seul ou à plusieurs, pourvu que de temps à autre on puisse sortir ses chiffons du placard...on ne rencontrera sans doute pas le public, mais lui aura au moins une occasion de croiser ce qu’on a fait. Et dans le meilleur des cas de s’y réjouir le regard.
Toute exposition de ce type implique une organisation qui impose une sélection : les murs ne sont pas extensibles. Son bout de mur, il faut le gagner. Le mériter, c’est une autre affaire.
D’abord prendre connaissance du règlement, c’est à dire des exigences de thèmes et de dimensions. Toute contrainte peut libérer l’imagination, acceptons-le. En débattre n’est pas ici le sujet.
On passera aussi sur le temps consacré au projet déjà pré-formaté par les desiderata des organisateurs, en essayant d’y échapper par toutes les issues possibles. Bref on obtient quelque chose, qu’on va appeler oeuvre.
Il faudra d’abord verser un droit d’entrée ou des frais de dossier. Dans la plupart des cas ils sont gardés par l’organisme initiateur, rarement restitués quand l’œuvre est refusée, ce qui peu ou prou donne aux artistes exclus l’amer plaisir de sponsoriser les heureux élus. Il est très malvenu à un impétrant de demander des comptes.
Les participations ne sont presque jamais anonymées et quand on parle de le faire le jury allègue soit l’impossibilité matérielle, soit le fait qu’on met en doute son impartialité. Il serait pourtant facile de la prouver par ce moyen, mais le suggérer soulève des tempêtes ou de ces haussements d’épaules qu’on affecte envers les gens qui ont perdu le sens commun.
La sélection se fait pratiquement toujours sur dossier et donc sur photos. Alors tant pis pour qui n’est pas expert en la matière ou ne dispose pas d’un cadre qui met son oeuvre en valeur, voire d’une bonne lumière, ou n’a pas les moyens d’acquérir un appareil performant… A ce stade déjà on est à peu près sûr que la qualité de l’oeuvre en elle-même ne suffit pas. L’essentiel c’est d’en avoir de bonnes photos. D’ailleurs certains règlements le soulignent, tout en précisant qu’on se réserve le croit de refuser une oeuvre sélectionnée si d’aventure elle ne passe pas l’épreuve du contrôle technique.
L’artiste se doit aussi de présenter une oeuvre de l’année en cours.
C’est qu’on vient d’inventer le concept de l’oeuvre à valeur périssable donc à date de péremption, signe évident d’une influence du consumérisme ambiant ou de l’obligation sournoise d’être bien de son temps, le tout dernier. Et pourquoi pas une oeuvre de la dernière semaine ? Outre qu’on se demande comment ce point-là peut-être vérifié, même avec la datation au carbone 14. L’oeuvre c’est vivant, mais quand même ! Donc une oeuvre dont on assure qu’elle est bien un perdreau de l’année. Mais on ne demande pas l’âge mental du capitaine, pardon, des jurés chargés de trancher.
Car qui dit sélection dit jury.
Du jury on ne sait pas grand chose sinon qu’il est toujours constitué d’experts. Entendez par là de personnes qui exercent votre art et qui ont parfois été distinguées par un autre jury. Parfois tout simplement de personnes qui ont organisé ladite exposition et qui du même coup, compensent le bénévolat des heures ingrates passées à travailler par le plaisir très jouissif de juger l’œuvre des autres. On adjoint depuis quelque temps des artistes d’une autre discipline pour l’ouverture, la caution et le sérieux de la chose : on devient plus expert que les experts en ignorant tout de l’histoire et des techniques de l’art dont on juge les réalisations. Admettons ce paradoxe.
On.sait aussi que comme les voies du Seigneur sont impénétrables, les décisions du jury sont indiscutables et le plus souvent les refus sont fournis sans justifications. Et quand on arrive à en obtenir on ne peut pas dire qu’elles soulignent l’autorité et la valeur desdits experts. Encore moins leur sensibilité à la création artistique. Les exemples cités ici sont tous authentiques. Tel est refusé pour entorse à l’équerrage, tel autre parce que les points se voient trop, tel autre parce que la surface n’est pas assez liftée et tel autre encore parce que l’oeuvre est jugée « trop rustique » -sic. ou alors « trop classique ». Par rapport à quoi, l’histoire ne le dit pas.
Bref toujours trop comme ci ou pas assez comme ça ou autre chose que ce qu’elle est. Un membre de jury m’a avoué avoir refusé des oeuvres tout simplement parce que « trop fortes » selon ses dires, elles ne s’assortissaient pas avec les autres.
Et quand on sait pourquoi on a été élu, ce n’est pas triste non plus, ça peut se faire à la surface, j’entends par là parce que l’oeuvre est de grandes dimensions. Je n’invente rien, hélas. J’en passe plutôt et des meilleures.

Certes un accrochage réussi n’est pas facile, mais alors pourquoi déclarer des critères de choix tels que la « la composition » « l’originalité, » la « conformité avec le thème » ou la « perfection technique » ? C’est qu’il il faut bien donner cette caution de sérieux et d’autorité aux décisions.
Critères qui servent aussi et surtout pour le concours, corollaire inévitable des dites expositions collectives. Impossible de trouver une seule exposition, même dans un coin caché de la France profonde, qui ne soit pas assortie de sa loterie, pardon je voulais dire de sa distribution de prix.
Et là, si la sélection est justifiable, le classement, lui, ne l’est pas. En aucune façon. On imagine : « Picasso premier, Braque second ! » ou le contraire et son ridicule.
C’est pourtant ce qu’on fait avec les petits, ce qu’on n’oserait pas avec les grands. A moins que ce soit pour se donner l’illusion d’être assez grands pour être capable de ce genre de remise de bons points ?
De l’art conçu comme un sport de compétition où le but devient de passer devant l’autre. Comment peut-on avoir une minute l’illusion d’être le meilleur ? Comment ne pas être saisi de l’absurdité de cette phrase ? Comment arrive-t-on à s’en persuader, plus des dix minutes que dure la bouffée de satisfaction d’un ego de taille normale ?
L’art et l’oeuvre ne s’en portent certainement pas mieux et ce genre de dissection par évaluation « scolaire » critériée n’a strictement rien à voir avec la recension sensible et éclairante qu’on peut faire - du travail d’un artiste regardé dans son ensemble, son évolution et non jugé sur quelque adéquation que ce soit à du pré-conçu. Ce n’est pas entrer dans l’oeuvre c’est la décomposer et la refuser si elle ne colle pas à ce qu’on a idée qu’elle devrait être sur un point précis.Le but est d’éliminer, non de ressentir. On est donc à côté de l’essentiel, forcément.
L’artiste n’a pas besoin ni d’un satisfecit de la sorte pour continuer ce qu’il a vocation à faire. D’encouragements certes, mais c’est tout différent… On lui concède que s’il est professionnel, ça enjolive son CV. Mais c’est justement là où le bât blesse. Que gagne-t-on à vouloir introduire des règles de compétitivité dans une activité humaine qui ne sera jamais uniquement un « métier » et où la concurrence imposée aux autres activités est profondément délétère ? L’art quand il touche aux domaines du commerce et de l’argent s’appauvrit car il se servilise, il se met à obéir. Il passe insensiblement de la création à la production. L’artiste ne fait plus ce qu’il se sent poussé à faire, il fait ce qu’il croit qu’on attend de lui pour qu’on le remarque et pour beaucoup je l’ai constaté dans mon domaine, au détriment d’une recherche plus personnelle.
Une réalisation artistique ne sera jamais que « très belle », « très forte », « très émouvante » quand elle l’est et si elle l’est. Mais comment pourrait-elle plus que l’autre à côté ? Et pour tout le monde en même temps ?
N’est-ce pas une fois de plus se donner pouvoir pour se sentir important côté jury, et inciter côté artistes à une vanité qui ne mène pas bien loin ? En a-t-on vraiment besoin pour se mettre en recherche, aller non pas plus loin ou mieux que l’autre, mais aussi profond qu’on le peut dans ses propres voies ?
Où est dans tout ce jeu qui infantilise, la création et ses mystères ?
Ce qui est censé susciter dépassement (non de soi, mais des autres), émulation, ne produit le plus souvent que vanité, autosuffisance, rivalités parfois sournoises, et ou obédience au « ce qui le fait » et « ce qui se fait ».
A ces pauvres satisfactions, j’opposerai ce qui pour moi « prime » tout : ce moment d’émotion partagée avec une jeune femme devant un de mes ouvrages, il y a quelques années. Son intérêt, ses questions hésitantes et ma propre timidité. Un tel moment n’a pas de prix.


Jacqueline Fischer